Privat Jacques / Privat Jaumes (1953)

Jacques Privat

Jacques Privat à Agios Loukas, île de Kithnos, Grèce.
Photo ©Makis Dimitriadis, 2010

NB : Cette présentation emprunte l’essentiel de son contenu au site des éditions Jorn (http://www.editions-jorn.com/auteurs-privat.htm), que nous remercions ici.

Jacques Privat est né à Espalion (Aveyron) en 1953. Ses premières poésies remontent à 1968: en français, dessinées, peintes. En 1970, il passe à la langue d’oc à la suite d’une rencontre avec Roland Pécout. De 1971 à 1975 il vit la période militante de Lucha Occitana. Il continue à écrire et à peindre, mais refuse la publication. Il écrit des chansons pour les groupes Cardabèla et Ara. Il arrête d’écrire de 75 à 82, année où il expose pour la première fois des peintures à la Mòstra del Larzac. Cet événement est lié à sa rencontre avec Félix Castan, animateur de cette importante manifestation artistique et pilier de l’occitanisme contemporain.

En 83, Privat publie pour la première fois des poésies dans les revues Òc et Jorn. Dans la même année, il rencontre Bernard Manciet dont le soutien le pousse à créer, bien qu’il continue à rester en marge de l’édition.

Dès ce moment, Il multiplie les présences comme plasticien et comme poète, en passant de l’exposition au happening.
À partir de 1995 il commence à fabriquer une série de livres d’artiste reliés à la main (los faissets de la talhada) qu’il réalise dans son atelier de la Taillade voir Image Las velas, las mans. En 1996 il publie son premier recueil de poésie, Talhs, à Jorn.

Privat collabore avec des articles et des textes de création aux principales revues occitanes. Il a en outre dirigé Poesia Occitana Contemporània (1940-1990), numéro spécial de la revue catalane Reduccions (1991). Il écrit aussi des textes pour des compositeurs de musique contemporaine comme Nicolas Wohrel (Ascla del jorn, 2003 ; LUNE-DHT-lunE, 2014), et poursuit sa collaboration avec les chanteurs Luc Aussibal (CD Ici-même, 1996, et Dedins, 2003) et Mr. Dide (CD. Mr. Dide, 2013). Il effectue son passage en l’an 2000 en Éthiopie. La découverte de cet ailleurs le conforte dans l’exploration de l’aicí-mai (ici-encore-ici-ailleurs) qu’il déplie et déploie en mots, en bois et en peinture. voir Image Als caminaires

Las velas, las mans, [les voiles, les mains] page 13, encre de chine sur papier, © J. Privat

« Las velas, las mans », [les voiles, les mains] page 13, encre de chine sur papier © J. Privat

 

Als caminaires [aux marcheurs] encre de chine sur papier © J.Privat, los faissets de la talhada, 2002

« Als caminaires » [aux marcheurs] encre de chine sur papier © J.Privat, los faissets de la talhada, 2002

Sans titre, boîte en plastique, papier, encre de chine et marbre pentélique, © J.Privat, 2009

« Sans titre », boîte en plastique, papier, encre de chine et marbre pentélique © J.Privat, 2009

Colonas, encre de chine et acrylique sur carton © J. Privat 2014

« Colonas », encre de chine et acrylique sur carton © J. Privat 2014


Les créations de Jacques Privat qui mêlent les « mots et les formes, les couleurs et les matériaux divers, s’exposent aussi volontiers sur internet.
Mais son monde d’images et de mots écrits s’enrichit aussi d’expériences sonores qui accompagnent la lecture des textes, dont on trouvera ici plusieurs exemples.

Extraits de concert – aicimaiexperience, Rodez, 2006

« alenada », texte J. Privat, musique Didier Fraysse © aicimai experience 2006 | 5:43

« acorcha abissina », texte J. Privat, musique Claude Gastaldin © aicimaiexperience 2006 | 2:52

« tendèlas », texte J. Privat, musique Luc Aussibal © aicimaiexperience 2006 | 2:48

« cridadissa », texte J. Privat, musique aicimai experience © aicimaiexperience 2006 | 3:16

« faula de plomb (les dieux ne sont pas des anges) » , texte J. Privat, musique aicimai experience © aicimaiexperience 2006 | 2:26

Créations sonores Jaumes Privat


L’œuvre, qui pourrait sembler difficile d’accès, parce que le propos y semble épuré jusqu’à l’abstraction, laisse cependant deviner aux happy few qui s’y risquent une attention sensible au monde. voir Images Sans titre et Colonas

Ce monde, au-delà de celui des origines (le Rouergue, univers de Jean Bodon et des statues-menhirs exposées au musée Fenaille, comme du peintre Soulages – Jacques Privat a écrit un livre, Negrelum/Noir lumière, à propos des vitraux de l’abbatiale de Conques – est aussi – surtout?– le monde des ailleurs parcourus, celui de l’aicí-mai, de l’ici-ailleurs, de l’Éthiopie à la Grèce où il a séjourné plusieurs années.


Fable de pierre

Pierre à pierre
nous avions bâti des murs
contre la lueur de l’aube,
contre la nuit, le bruit, la peur.
contre les autres,
contre les pierres, enfin.
l’air nous a manqué, nous avons compris.
accrochés de tous nos ongles,
nous cherchons la sortie.

« pierres muettes entassées… parole.
ne vous fiez pas aux pierres muettes
leur silence est un amas de paroles »

Friches, Cahiers de poésie verte, 64, automne 1998, p. 63.
Note sur la version française : il est difficile de rendre en français le jeu sur le mot occitan « clapàs » qui désigne précisément un tas de pierres.

Faula en pèira

pèira a pèira
levèrem de parets,
contra’l lugar de l’alba,
contra la nuèch, lo bruch, la paur.
contra los altres,
contra las pèiras, puèi.

l’aire manquèt, comprenguèrem

arrapats de totas onglas,
cercam de sortir.

Òc, 31, abriu de 1994, frontispici, enrodat de frasas escrichas a la man :
« clapàs de pèiras mudas fa paraula. »
« vos fisetz pas a las pèiras mudas
son silenci es un clapàs de paraulas.»

Faula en pèira, Faula , texte J. Privat, musique aicimaiexperience © aicimaiexperience 2006 | 4:59

ils ont jeté…

ils ont jeté un arbre tout entier dans le feu, à la lisière de la grande forêt. c’est le moment où l’on parle. on se donne des cigarettes, on bafouille un peu. puis échanges muets. la terre tourne, une lune claire s’est posée sur la nuit d’ici au milieu de constellations que nous ne connaissons pas.

Alenadas, traduction O. Lamarque et J.P. Tardif, à paraître aux éditions Votz de Trobar

an butat…

an butat un arbre tot entièr dins lo fuòc, a l’orièira de la forèst granda. aquò’s l’ora que se parla. nos donam de cigarretas, bretonejam un pauc. escambis muts puèi. la tèrra vira, una luna clara s’es pausada sus la nuèch d’aicí pel mièg d’ensenhas que sabèm pas.

Alenadas, traduction O. Lamarque et J.P. Tardif, à paraître aux éditions Votz de Trobar

des trains passent…

des trains passent. des trains passent. et passent les trains. tu es sur le quai de la gare, on te donne le billet pour monter dans le train. le train t’attend. et tu ne montes pas. tu ne montes pas, tu ne montes pas. et toujours passent des trains, tu as le billet, mais tu ne montes pas. tu dis j’ai mon lieu, et tu sais pourtant que ton lieu est dans un autre lieu. qu’il y a un train. et tu ne montes pas dans le train. pourquoi ne montes-tu pas dans le train ? tu attends quoi ? un train ? et passent les trains passent les trains, et passent les trains. et tu ne montes pas. arrive un autre train, c’est le train de ton lieu. tu sais que ton lieu est au bout de cette ligne, que ce train est le tien. et tu ne montes pas. tu n’as pas le billet.

et tu restes sur le quai, tu restes sur le quai, sur le quai. il n’y aura plus de train, tu le sais, et tu ne montes pas. tu n’as pas le billet. sans lieu, tu restes sans lieu. et tu restes sans toi. et tu sais que le temps. que le temps du train n’est plus tien. et tu restes sur le quai. dépouillé, ton âme déchirée tu la suspends au-dessus des voies. et tu restes sur le quai. sans âme. sans quai. il te reste ton corps, des mains, des bras, des pieds, de la peau, du sexe. et tu restes sans quai, sans air, sans peau, sans sexe. et le quai disparaît, comme un train. il te reste ce corps sans peau, les mains, les bras, ce rien, ce sans-rien, ce corps-rien. et l’âme déchirée qui suspend là-bas. et plus d’âme.

et du rien pour rien, de la peau, des bras, des mains. ce non. ce non du temps. ce non-train. un non-lieu.

effacer.

tu cherches la gomme.

lo luòc del nonluòc, los faissets de la talhada, 2011

de trins passan…

de trins passan. de trins passan. e passan de trins. siás sul trepador de la gara, te donan la bilheta per montar dins lo trin. lo trin t’espèra. e montas pas. montas pas, montas pas. e totjorn passan de trins, as la bilheta, mas montas pas. dises ai lo mieu luòc, e sabes ça que la que lo tieu luòc es dins un altre luòc. que i a un trin. e montas pas dins lo trin. perdequé montas pas dins lo trin ? de qu’espèras ? un trin ? e passan los trins passan los trins, e passan los trins. e montas pas. arriba un altre trin, aquò’s lo trin del tieu luòc. sabes que ton luòc es a cap d’aquesta linha, qu’aqueste trin es tieu. e montas pas. as pas la bilheta.

e demòras sul trepador, demòras sul cai, sul cai. i aurà pas pus cap de trin, zo sabes, e montas pas. as pas la bilheta. sens luòc, demòras sens luòc. e demòras sens tu. e sabes que lo temps. que lo temps del trin es pas pus tieu. e demòras sul trepador. despolhat, ton arme estrifada la penjas dessus las vias. e demòras sul trepador, sens arma. sens cai. te demòra lo tieu còs, de mans, de braces, de pès, de pèl, de sèxe. e demòras sens cai, sens aire, sensa pèl, sens sèxe. e lo trepador s’esvanis, coma un trin. te demòra aquel còs sens pèl, las mans, los braces, aquel res, aqueste sens-res. e l’arma estrifada que pendolha aval. e cap pus arma.

e de res per res, de pèl, de braces, de mans. aqueste non. aquel non del temps. aquel non-trin. un non-luòc.

escafar.

cercas la goma.

lo luòc del nonluòc, los faissets de la talhada, 2011


Entretien avec l’auteur

C’est un choix majoritaire et non exclusif. Il ne s’est pas imposé de prime abord. J’ai choisi d’écrire dans une « petite » langue parce que pour moi cela élargissait le champ des possibles, cela ouvrait le monde. Plus qu’en français. Les premiers textes que j’ai écrit étaient en castillan, j’étais sans doute à la recherche d’une sorte de décalage, d’une autre vision. Ensuite j’ai choisi l’occitan parce qu’il était à ma portée, je l’avais sous la main, sous la langue. La langue c’est le levain, après il faut pétrir.

Je dirais qu’il s’agit plutôt d’un choix déraisonnable (et irraisonnablement raisonné) si l’on se place du point de vue de l’ambition littéraire et artistique et de la recherche d’une quelconque reconnaissance. Il s’agit certainement d’un choix esthétique et esthétique contre (l’esthétique dominante) même si à un certain moment il s’agissait aussi d’un choix -disons- « politique ».

Bien sûr. Mais pas plus qu’un écrivain français ou dans une autre langue. Cependant le fait qu’il n’y ait plus ou presque plus « de langue (occitane) du peuple » fait que le décalage disparaît dans une langue qui doit se réinventer, se faire en elle-même mot à mot.

Bien sûr je n’écris pas exactement la langue entendue, cela vient de ma façon d’écrire, de dé-composer, de soustraire, mais ma référence -s’il en faut une- reste tout de même le « patois » que j’entendais parler dans mon enfance.

À cause de ce que je j’écris et ce que je fais j’ai la sensation d’être deux fois marginal ou marginalisé : parce que c’est en oc et à l’intérieur de l’occitan parce que ça ne rentre pas dans les cadres occitanistes. Le public ? il est où ? – mas dos còps a la talvèra aquò me desagrada pas [mais être deux fois à la marge, ça ne me déplaît pas] – Parfois on aimerait bien avoir quelque écho même défavorable pour savoir où on en est et où on va. La création en occitan souffre d’un manque de critique. L’écriture comme les arts plastiques doivent se nourrir aussi de débats et d’oppositions.

Aquò dich, i a qualques colleccionaires, qualques happy few, coma d’unes dison, que seguisson un pauc çò que fau, l’escritura e lo demai. Faguèri un fum d’exposicions o de performanças, aquò me faguèt conéisser un pauc. Ara las sollicitacions son mai raras, mas cal dire que corri pas après las mòstras o la publicacion. S’arribi a tocar un vintenat de personas aquò’s dejà pro plan.

[Cela dit, il y a quelques collectionneurs, quelques happy few, comme on dit, qui suivent un peu ce que je fais, l’écriture et tout le reste. J’ai fait quantité d’expositions ou de performances qui m’ont fait un peu connaître. Maintenant, les sollicitations sont plus rares, mais il faut dire que je ne cours pas après les expositions ou les publications. Si j’arrive à toucher une vingtaine de personnes, c’est déjà bien.]

Jacques Privat – Poésie

  • 1991 : « Poesia Occitana Contemporània (1940-1990) », Vic (Barcelona), Reduccions, n° 50-51. Antologia e presentacion, en collaboracion amb Felip Gardy.
  • 1995 : Bouts de vie, (en fr.) avec des images de Gérard Marty, [Albi] Les Requins Marteaux, rééd. 2001.
  • 1996 : Talhs, Montpeyroux, Jorn.
  • 2016 : alenadas, [s.l.] ed. Votz de Trobar
  • 2016 : las velas, las mans, [s.l.] ed. Votz de Trobar
  • La majorité des textes de Jacques Privat ont été publiés dans la revue OC (http://www.ocrevista.com/) ou par les soins de l’auteur dans la série faite à la maison los faissets de la talhada (une vingtaine de titres).

Jacques Privat – Théâtre

  • 1991 : Comedia de l’òc (bilingue), mise en scène Bernard Cauhapé, création Comedia del Òc. 
  • 1997 : Cantas de Luna e de Pèira, Viauratorio, Création ArT/TerRa, musique de Guy Raynaud, mise en scène Bernard Cauhapé.
  •  1999 : Les Abancturiers (en français), mise en scène J. Privat, création à Rodez, janvier 1999. 
  • Jacques Privat – Sitographie