Marcelle Delpastre est née à Germont (Corrèze), dans une famille de paysans dont le père parlait français et la mère occitan. Son enfance est bercée par les contes et chansons occitanes de ses grands-parents.
Ses premiers écrits – en français – datent de ses douze ans. Marcelle Delpastre réussit son bac puis suit pendant un an les cours de l’École des Arts Décoratifs de Limoges.
Elle revient cependant à la ferme familiale en 1945 et ne la quittera plus jusqu’à sa mort, menant une double vie de paysanne et d’écrivain, cependant qu’elle est le témoin direct de la fin d’un monde économique, social, technologique et aussi linguistique. Mort de la langue, mort du pays qui hante l’œuvre dès les premiers poèmes :
« Anei vers queu país coma aniriatz ad un amic, li borrar sus l’espatla : desvelha-te ! » [J’allai vers ce pays, comme on irait vers un ami, lui taper sur l’épaule : réveille-toi !] Saumes pagans, « Queu país » [Ce pays].
ou encore
« Parle d’un país mòrt que ne sap pas si viu d’enguera. D’un país mòrt dins sas romecs ; dins la rulha de sas levadas, d’un país que s’oblida se-mesme. » [Je parle d’un pays mort qui ne sait pas s’il vit encore. D’un pays mort dans ses ronces ; dans la rouille de ses rigoles. D’un pays qui s’oublie lui-même.] Saumes pagans, « Lo país mòrt » [Le pays mort].
Cependant Marcelle Delpastre fait d’abord oeuvre d’ethnographe et d’ethnologue. Elle collecte contes, proverbes ou chansons. Ce travail aboutit à la publication de trois volumes de contes [Note] dans la revue Lemouzi. Dans ses travaux d’ethnologie, elle se livre à l’analyse des croyances populaires et livre à la Société d’Ethnographie du Limousin et de la Marche des études qui lui ouvrent les pages de la revue félibréenne Lemouzi. C’est en 1964, dans le cadre d’une réunion de la revue, qu’elle entend Jean Mouzat (1905-1986, universitaire, éditeur et poète limousin) prononcer un discours en limousin qui lui révèle la richesse de sa langue. S’ensuit presque aussitôt l’écriture du premier poème en occitan :
« Robert Joudoux me convia à la réunion Lemouzi. J’y allai. Jean Mouzat parla longtemps du Limousin en limousin.
Le lendemain j’écrivis « La lenga que tant me plats » […]. C’était parti ! Sans déclaration solennelle, cette fois, ou bien n’en était-ce pas une ? À partir d’aujourd’hui, j’écrirais en Limousin et sur le Limousin. »[Note]
Au cours des années 60 Marcelle Delpastre délaisse les formes versifiées classiques pour se tourner vers le psaume comme en témoigne le titre de son premier recueil, Saumes pagans, dont la publication en 1974 par l’IEO la révèle véritablement au milieu occitaniste.
En 1975, Marcelle Delpastre rencontre Jan dau Melhau [Note]
et Michel Chapduelh.[Note]
Ensemble ils décident de fonder la revue Lo Leberaubre. Cette revue cherche à exalter l’âme populaire limousine [Note]
telle qu’elle peut être conçue au travers de l’expression « Per balhar de las raiç au leberon e far corre l’aubre la nuech » [Pour donner des racines au loup-garou et faire courir l’arbre la nuit]. Elle publie de nombreux textes de Marcelle Delpastre, dont le recueil Lo sang de las peiras (1983), lauréat du prix Méridien décerné par la ville de Montpellier.
Dans les années 1990, elle connaît le succès parisien, suite à la parution chez Payot du premier tome de ses mémoires, Les chemins creux. Seulement, cette expérience de la capitale (elle est notamment passée dans l’émission Apostrophe de Bernard Pivot) lui laisse un goût amer, elle se sent rejetée de la sphère intellectuelle qui n’est pas prête à accepter de voir une paysanne faire œuvre de poète.
Cette œuvre cependant est à présent bien reconnue, notamment grâce au précieux travail d’édition de Jan dau Melhau aux éditions du chamin de sent Jaume.
NB. Remerciements à Nadège Saint-Martin.
L’arbre vieux
Depuis qu’on le tuait, ce pays, comme une bête sauvage, depuis le temps,
non il n’est pas mort, il respire encore.
Non il ne crève pas, il n’en finit pas. D’en haut ils se sont levés contre lui. De côté ils le poussaient. Ils lui ouvraient les veines, il en saigne depuis tant de siècles ; sur terre et dans la mer.
Il saigne dirait-on : mais il se sème, dans les terres au loin, par-delà la mer,
il plante ses graines, il s’enracine de cœur.
Ce pays qu’on laissait pour mort, la guêpe et les mouches dessus, les ronces et l’ajonc comme une gale dans la peau,
la maison éventrée qui fait voir sa cheminée et ses tripes au vent, la chaleur de son fumier – non ! Il n’est pas mort encore.
L’arbre vieux, tel qu’on dirait que jamais n’y remontera la sève, tant l’écorce semble morte, la racine mangée de vers, et qui tombe en poussière par le milieu,
jamais, venu l’été, il n’avait donné tant de feuilles, ni des fleurs si parfumées ;
Et nous nous en souviendrons, de ses fruits et de son ombre.
Pour le tuer, ce pays, tant qu’il parle sa langue en fleurs de l’arbre vieux,
non il n’est pas né le chasseur.
L’aubre vièlh
Dempuei que lo tuavan, queu país, coma ’na bestia fera, dempuei lo temps, non n’es pas mòrt, polsa d’enguera.
Non creba pas, jamai ne’n ’chaba. De denaut se son levats contra se. De per costat lo butissián. Li an dubrit las venas, que ne’n sagna de tant de secles ; sus terra e dins la mar,
que ne’n sagna, diriatz : mas que se’n semena dins las terras au lonh, delai la mar,
que planta sas granas, que s’enraija de còr.
Queu país que laissavan per mòrt, la vespa e las moschas dessús, las romecs e l’ajauc coma ‘na gala dins sa peu,
la maison esventrada que fai veire sa chaminada e sas tripas au vent, la calor de son fems – non ! N’es pas mòrt d’enguera.
L’aubre vielh, que diriatz que jamai lai tornarà montar la saba, talament la ruscha es crebada, la raiç curada de vermes que tomba en pouvera per lo mitan,
jamai, vengut l’estiu, n’aviá balhat tant de fuelhas, ni de flors tan perfumadas,
e nos en sovendrem de sa frucha mai de son ombra.
Per lo tuar, queu país, tant que parla sa lenga en flors de l’aubre vielh,
non n’es pas naissut lo chaçador.
Marcelle Delpastre – Poésie
- 1964 : La Lenga que tant me platz, Tulle, Lemouzi, Repris dans D’una lenga l’autra, Meuzac, Edicions dau chamin de Sent Jaume, 2001.
- 1965 : Lo Rossinhòu e l’Englantina, Tulle, Lemouzi. Repris dans D’una lenga l’autra, op. cit.
- 1967 : La Vinha dins l’Òrt, Bordeaux, Escòla Jaufré Rudel. Repris dans le tome 1 de Poèmes Dramatiques, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume, 1999.
- 1968 : Lo Chamin de terra, Tulle, Lemouzi. Repris dans D’una lenga l’autra op. cit.
- 1974 : Saumes pagans, IEO. 2e édition, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume, 1999.
- 1983 : Lo Sang de las peiras, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume. Repris dans Les Petits recueils, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume, 2001.
- 1985 : Louanges pour la femme, Saint-Yrieix, Friches. Repris dans Les Petits recueils op. cit.
- 1987 : Nathanaël sous le figuier / Natanael jos lo figier, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume. Repris dans D’una lenga l’autra, op. cit.
- 1988 : Le jardin sous la lune / L’òrt jos la luna, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume (repris dans D’una lenga l’autra op. cit.
- 1989 : Le paysan, l’arbre et la vigne, Tulle, Lemouzi.
- 1989 : La Trauchada, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume. Repris dans D’una lenga l’autra, op. cit.
- 1990 : L’Histoire dérisoire, Marguerite dans le miroir, La Fille assise, Lyon, Fédérop, 1990.
- 1991 : Lo cocotin de l’argfuelh / La petite baie de houx, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume. Repris dans D’una lenga l’autra, op. cit.
- 1993 : L’automne sur la mer, Bergerac, Les amis de la poésie. Repris dans le tome 3 de Poésie modale, 2000, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
- 1994 : Requiem pour un pendu, Bergerac, Les amis de la poésie, 1994. Repris dans le tome 1 de Poésie Modale, op. cit.
- 1997-1998 : Paraulas per questa terra (5 tòmes), Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
- 1999 : Poèmes dramatiques (2 tomes), Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
- 2000 : Poésie modale (3 tòmes), Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
- 2001 : D’una lenga l’autra, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
- 2001 : Le Testament de l’eau douce, Gardonne, Fédérop.
- 2002 : L’Araignée et la Rose, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
- 2002 : Le Chasseur d’ombres, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
- 2003: Les Disparates, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
Marcelle Delpastre – Prose poétique
- 1995 : Proses pour l’après-midi, Paris, Payot.
- 1997 : Cinq heures du soir, Paris, Payot. Repris dans Proses pour l’après-midi en Cinq heures du soir, Paris, De Borée.
- 2001 : Ballades, Bassac, Plein Chant.
Marcelle Delpastre – Ethnologie – ethnographie
- 1970 : Los Contes dau Pueg Gerjan, Tulle, Lemouzi.
- 1975 : Nouveaux contes et proverbes limousins, Tulle, Lemouzi.
- 1978 : Lo conte de Vira-boton, Tulle.
- 1982 : Setz-vos sortier ? Sorcellerie et magie en Limousin, Tulle, Lemouzi.
- 1997 : Le Tombeau des ancêtres, Paris, Payot.
- 2000 : Le Bourgeois et le Paysan, Paris, Payot.
- 2003 : Bestiari lemosin, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
- 2005 : De trois passages en Limousin, naissance – épousailles – funérailles, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
- 2006 : Eléments d’un bestiaire, Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume.
- 2010 : Lo libre de l’erba e daus aubres, Meuzac, Edicions dau chamin de Sent Jaume.
Marcelle Delpastre – Mémoires
- 1993 : Les chemins creux, une enfance limousine, Paris, Payot.
- 1994 : Derrière les murs, les années de pension, Paris, Payot.
- 1996 : Le temps des noces, Paris, Payot.
- 1996 : Las vias priondas de la memòria, Aurillac, Ostal del libre.
- 1998 : Le jeu de patience, Paris, Payot, 1998. Réédition Meuzac, Edicions dau chamin de sent Jaume, 2015.
- 2004 : Mémoires (Les lourdes chaînes de la liberté, Le passage du désert, La fin de la fable), Bassac, Edicions dau chamin de Sent Jaume/Plein Chant.
Sur Marcelle Delpastre
- 1999 : Lo Leberaubre, numéro spécial 23-24, « Omenatge a Marcela Delpastre », Lo Clauselon 24460 Agonac en Peiregòrd.
- 2000-2001 : Marcela Delpastre, Bassac, Plein Chant n°71-72.
- 2003 : Philippe Gardy, Figuras dau poèta e dau poèma dins l’escritura occitana contemporanèa, Montpeyroux, Tèxtes occitans/Jorn.
- 2012 : Miquèla Stenta, coord., Marcela delpastre, una cosmogonia del vivent, Lenga e País d’òc, n° 52-53. Voir sommaire et extraits sur https://cdn.reseau-canope.fr/archivage/valid/161729/161729-25906-33016.pdf, voir aussi : http://www.educ-revues.fr/lpoc/ListeSommaires.aspx?som=52
Marcelle Delpastre – Filmographie – Ressources numériques
- 1996 : Cazals Patrick, Marcelle Delpastre. A fleur de vie, Les films du Horla. Le catalogue des films du Horla consacré à MD : http://www.lesfilmsduhorla.com/dvd/dvd_01.html
- Présentation de l’auteur sur http://www.cardabelle.fr/occitan-auteurs-delpastre.htm
Sur ce même site : Lo chant de la terra, extrait de Paraulas per questa terra. - Un film vidéo où Jan dau Melhau, son légataire et éditeur présente MD : http://www.correzetelevision.fr/videos/hommage-a-marcelle-delpastre._334.html
- Un film d’EELV Limousin où le poème « L’aubre vielh » est lu : http://www.dailymotion.com/video/xcinkg_patrick-besse-marcela-delpastre_news
- Plusieurs documents en ligne sur le site du CIRDOC :
http://occitanica.eu/omeka/items/browse?search=&advanced[0][element_id]=39&advanced[0][type]=is+exactly&advanced[0][terms]=Marcela%20Delpastre%20%281925-1998%29&submit_search=Recherche - Le Chat (manuscrit) en ligne sur la bibliothèque numérique du Limousin : http://occitanica.eu/omeka/items/show/11286
- Clytemnestre au couteau, idem : http://occitanica.eu/omeka/items/show/4594
- Lettre à Yves Rouquette, idem : http://occitanica.eu/omeka/items/show/11285
- Lo rossinhòl, idem : http://occitanica.eu/omeka/items/show/4593
- Louanges pour la femme, idem : http://occitanica.eu/omeka/items/show/4595
- Description du fonds Marcelle Delpastre (Bibliothèque francophone multimédia de Limoges, Inventaire des manuscrits du fonds Marcelle Delpastre, janvier 2015) : http://occitanica.eu/omeka/items/show/11296