Mistral Frédéric / Mistral Frederi (1830-1914)

Frédéric Mistral

Frédéric Mistral dans le jardin de sa maison à Maillane, 1913.
Collection CIRDÒC – Iconotèca (IC-A-Mis)

Pour une biographie numérique détaillée de Mistral, illustrée de nombreux documents textuels et iconographiques, on se reportera au site du CIRDOC : http://occitanica.eu/omeka/frederic-mistral.

Mistral est sans conteste le poète de langue d’oc le plus célèbre du XIXe siècle. Son œuvre, par son ampleur et sa qualité, a servi de révélateur à nombre de ceux qui ont choisi après lui l’occitan comme langue d’expression.
L’auteur naît en 1830 au Mas dóu Juge (Mas du Juge), domaine agricole de la commune de Maillane (Bouches-du-Rhône), dans une famille de propriétaires terriens aisés.
C’est au cours de ses études à Avignon que son précepteur Joseph Roumanille, lui-même écrivain en provençal, découvre le talent du jeune Mistral et l’encourage à écrire. Après des études de droit à Aix, il revient au mas familial où il commence la rédaction de Mirèio.
Avant d’en être un infatigable animateur, Mistral fut en 1854 un des sept fondateurs mythiques du Félibrige, ce mouvement littéraire, toujours existant, qui se donna pour objectif de revivifier le provençal et, au-delà, l’ensemble de la langue d’oc (comme en témoigne le site officiel : http://www.felibrige.org/spip.php?article3).
À la mort de son père, en 1855, Frédéric et sa mère quittent le mas et résident à Maillane, à la maison du Lézard, où Mistral achève la rédaction de Mirèio et commence Calendau.
C’est aussi en 1855 que débute la parution de l’Armana Prouvençau, destiné à rencontrer le public populaire.
Le poème en 12 chants Mirèio paraît en 1859, salué par Lamartine. C’est à la fois une histoire d’amour impossible entre deux jeunes gens que séparent leurs origines sociales et une épopée dont les premières strophes désignent les modèles antiques qui l’inspirent. Le premier vers « Cante una chato de Prouvènço » n’est pas sans rappeler le « Arma Virumque cano » de l’Énéide de Virgile, et le poète s’auto-désigne comme « umble escoulan dóu grand Oumèro ».
En 1861, Mistral publie « La countesso », poème politique et revendicatif dans lequel la Provence est incarnée par une Comtesse enfermée dans un couvent par sa sœur, désignée par le terme « sourrastro » au suffixe péjoratif, dans lequel on devine la France. Le refrain de La Coumtesso : « Ah ! se me sabien entèndre ! Ah ! se me voulien segui ! » [Ah ! s’ils savaient m’entendre ! Ah ! s’ils voulaient me suivre !] est demeuré célèbre. Ce sera là une des seules tentatives de Mistral de poser la question « fédéraliste ».
Dans ces années 1860, Mistral entre en contact avec les Catalans. Il adresse aux Jeux Floraux de Barcelone l’ode I troubaïre catalan datée d’août 1861 et dédiée à Damase Calvet de Figuères. Le poème sera publié dans l’Armana prouvençau en 1862 et dans Lis Isclo d’Or en 1875. C’est une allégorie des liens historiques entre la Catalogne et la Provence exaltant la fraternité des deux peuples.
En 1867 paraît Calendau, deuxième poème épique en 12 chants, qui reprend la même strophe que le précédent. Le héros, Calendau, pêcheur d’anchois de Cassis, doit accomplir une série d’exploits pour conquérir Estérelle, la jeune femme qu’il aime.
En 1876, Mistral publie le recueil poétique Lis isclo d’or et en 1878, Lou Tresor dóu Felibrige, dictionnaire « provençal-français embrassant les divers dialectes de la langue d’oc moderne » qui reste encore aujourd’hui le plus riche dictionnaire de langue d’oc.
Le troisième grand poème de Mistral, Nerto, voit le jour en 1884, Il s’agit d’un poème de 4000 vers octosyllabiques qui raconte les aventures de Nerto, une jeune fille vendue au diable par son père. L’action se déroule au bas Moyen-Âge, évoquant Arles et Avignon au temps des papes.
En 1890, le poème dramatique en cinq actes et en vers La Reino Jano tente de réhabiliter un personnage historique controversé en l’idéalisant. L’héroïne est la comtesse de Provence, Jeanne Ière de Naples (1326-1382).
En 1897 paraît Lou Pouèmo dóu Rose, dernier chef-d’œuvre de Mistral, long poème en douze chants, écrit en hommage au Rhône et à la batellerie fluviale.
En 1904 le Museon Arlaten est inauguré. Il s’agit d’un des premiers musées ethnographiques de France. Mistral obtient la même année le prix Nobel de littérature.
Les Memòri e raconte [Mémoires et récits], sous-titrés « moun espelido » (mes origines), constituent une œuvre autant ethnographique qu’autobiographique, d’une écriture pleine d’humour et de poésie, légende dorée de son enfance, de sa jeunesse et de la naissance du Félibrige. L’ultime recueil, Lis Óulivado, rassemble les derniers poèmes.
Mistral meurt en 1914, en pleine gloire.

NB : Nous ne donnons ci-après qu’un extrait de Mirèio. Heureusement, l’œuvre de Mistral est largement disponible, plusieurs fois rééditée pour les œuvres majeures, disponible en ligne pour une bonne part, notamment sur le site du Centre International de l’Écrit en Langue d’Oc : http://www.cieldoc.com/.

 

Ô Saintes Maries…

Ô Saintes Maries
Qui pouvez en fleurs
Changer nos larmes
Inclinez vite l’oreille
Devers ma douleur !

Quand vous verrez, hélas !
Mon tourment
Et mon souci,
Vous viendrez de mon côté
Avec piété.

Je suis une jouvencelle
Qui aime un jouvenceau,
Le beau Vincent !
Je l’aime, chères Saintes,
De tout mon cœur.

Je l’aime ! Je l’aime
Comme le ruisseau
Aime de couler,
Comme l’oiseau dru
Aime de voler.

Et l’on veut que j’éteigne
Ce feu nourri
Qui ne veut pas mourir !
Et l’on veut que je torde
L’amandier fleuri !

Ô Saintes Maries
Qui pouvez en fleurs
Changer nos larmes,
Inclinez vite l’oreille
Devers ma douleur !

De loin je suis venue
Chercher ici la paix
Ni Crau, ni landes,
Ni mère émue
Qui arrête mes pas !

Et du soleil qui darde
Ses clous
Et ses épines
Je sens les rayonnances
Qui poignent mon cerveau.

Mais, vous pouvez me croire !
Donnez-moi Vincent
Et gais et souriants
Nous viendrons vous revoir
Tous deux ensemble.

Mireille, Chant X, strophes 33 et suivantes. Traduction de l’auteur.
NB. La traduction de Mistral étonne le lecteur par ses nombreuses maladresses et lourdeurs qui déparent le texte original.

O Sànti Mario…

O Sànti Mario,
Que poudès en flour
Chanja nòsti plour,
Clinas lèu l’auriho
Devers ma doulou !

Quand veirés, pecaire !
Moun reboulimen
E moun pensamen,
Vendrés de moun caire
Pietadousament.

Siéu uno chatouno
Qu’amo un jouveinet,
Lou bèu Vincenet !
Iéu l’ame, Santouno,
De tout moun senet !

Iéu l’ame ! iéu l’ame,
Coume lou valat
Amo de coula,
Coume l’aucèu flame
Amo de voula.

E volon qu’amosse
Aquéu fio nourri
Que vòu pas mouri !
E volon que trosse
L’amelié flouri !

O Sànti Mario,
Que poudès en flour
Chanja nòsti plour,
Clinas lèu l’auriho
Devers ma doulour !

D’alin siéu vengudo
Querre eici la pas.
Ni Crau, ni campas
Ni maire esmougudo
Qu’arrèste mi pas !

E la souleiado
Emé si clavèu
E sis arnavèu,
La sènte a raiado,
Que poun moun cervèu.

Mai, poudès me creire !
Dounas-me Vincèn
E gai e risènt,
Vendren vos revèire
Tóuti dous ensèn.

Mirèio, Cant X, estròfa 33 e seguentas.

Commentaires sur le texte

Corou de Berra chante Mirèio

Corou de Berra chante Mirèio

Mirèio est l’une des multiples histoires d’amour malheureux que contient la littérature. Ce long poème en 12 chants qui comptent chacun entre 70 et 91 strophes de 7 vers évoque deux très jeunes gens de 15 et 16 ans, Mirèio, fille unique du riche propriétaire Mèstre Ramoun, et Vincèn, fils du pauvre vannier Mèstre Ambròi.
Ce passage est l’un des plus émouvants de l’œuvre. Après le violent refus paternel d’accepter ses amours avec Vincèn, Mirèio s’enfuit à travers la Crau, puis la Camargue, pour tenter le miracle : supplier les Saintes Maries de la Mer de fléchir l’autorité parentale.
Le texte a été mis en musique par Patrice Conte et interprété magnifiquement par le groupe de polyphonies Corou de Berra.

Frédéric Mistral – L’œuvre

NB : les éditions de Mistral sont toujours bilingues. Hélas, les traductions de l’auteur ne sont pas à la hauteur du texte original.
  • 1859 : Mirèio, Avignon, J. Roumanille. Nombreuses rééditions critiques dont la dernière en date : Mirèio, présentation et notes de Claude Mauron, Montfaucon (30), Librairie contemporaine, 2008.
  • 1867 : Calendau, Avignon, J. Roumanille.
  • 1867 : Coupo Santo.
  • 1875 : Lis Isclo d’or. Avignon, J. Roumanille.
  • 1879 : Lou Tresor dóu felibrige ou Dictionnaire provençal-français.
  • 1884 : Nerto, Paris, Hachette.
  • 1890 : La Rèino Jano, drame, Paris, Lemerre.
  • 1897 : Lou Pouèmo dóu Rose, Paris, Lemerre.
  • 1906 : Moun espelido, Memòri e Raconte, Paris, Plon.
  • 1906 : Discours e dicho, Avignon.
  • 1910 : La Genèsi, traducho en prouvençau, Paris, Champion.
  • 1912 : Lis Óulivado, Paris, Champion.
  • 1926, 1927, 1930 : Proso d’Armana (posthume), Paris, Grasset.

Frédéric Mistral – Bibliographie secondaire

La critique mistralienne est abondante. Nous ne donnerons ici que quelques titres, et mettrons l’accent sur les publications les plus récentes.

  • 1954 : Charles Mauron, Études mistraliennes / Estùdi Mistralen, Aix-en-Provence, Librairie de l’Université. Réédition Saint-Rémy-de-Provence, 1989. Étude psychocritique.
  • 1954 : Robert Lafont, Mistral ou l’illusion, Paris, Plon. Réédition Valdériès, Vent Terral, 1981. Une vision « occitaniste » de l’itinéraire de Mistral. Contient surtout de remarquables lectures de l’œuvre.
  • 1993 : Claude Mauron, Frédéric Mistral, Paris, Seuil, 1993. Biographie.
  • 1997 : Philippe Gardy et Claire Torreilles, éditeurs, Frédéric Mistral et Lou Pouèmo dóu Rose, Actes du colloque de Villeneuve-lès-Avignon (mai 1996), s.l., CELO / William Blake &amp Co éditeurs, collection « Annales de Littérature Occitane », n° 5.
  • 2004 : Jean-Yves Casanova, L’Enfant, la mort, les rêves, Perpignan, Trabucaire.
  • 2009 : « Mirèio lampo, e lampo, e lampo. Études des chants VII à XII de Mirèio de Frdéric Mistral », Revue des Langues Romanes, 1-CXIII, Montpellier, PULM.
  • 2012 : Mirèio – 150en anniversàri – Graveson (13), Li Charradisso dóu CREDDO.
  • 2012 : Mirèio et autour de Mirèio de Frédéric Mistral, Actes du colloque international de Marseille, Avignon, Li Nouvello de Prouvènço. Cahier n° 17.

Frédéric Mistral – Sitographie

Compléments sur le Félibrige

  • 2002 : Simon Calamel et Dominique Javel, La langue d’oc pour étendard – Les félibres de 1854 à nos jours, Toulouse, Privat.
  • 2010 : Philippe Martel, Les Félibres et leur temps. Renaissance d’oc et opinion (1850-1914), Presses Universitaires de Bordeaux.