Goudoulin Pierre / Godolin Pèire (1580-1649)

Pèire Godolin / Pierre Goudoulin

Oeuvres complettes de Pierre Godolin / avec traduction en regard, nôtes historiques et litèraires [« sic »], par MM. J.-M. Cayla et Cléobule Paul. Domaine public

Pierre Goudoulin (ou « Godolin » ou « Goudelin ») est né et a grandi dans une famille bourgeoise de Toulouse. Après une formation de juriste, il consacra sa vie à l’écriture, et devint une sorte de poète officiel au point d’être pensionné, à la fin de sa vie, par les Capitouls de la ville.

Son œuvre est rassemblée dans Le Ramelet mondin (Le petit bouquet de Toulouse), « petit bouquet » qui s’augmenta plusieurs fois, lors de ses éditions successives, de nouvelles « floretas » (petites fleurs), c’est-à-dire des poèmes composés entre deux éditions, soit quatre fleurettes en tout à la dernière édition de 1646.

La floureto noubelo del Ramelet Moundi

Las Obros de Pierre Goudelin, augmentados d’uno noubélo floureto : Toulouso : P. Bosc, 1647. Domaine public

C’est une œuvre multiforme (odes, stances, sonnets, chansons, noëls, prologues de ballets en prose…) et de registres variés, de la tonalité légère des bergeries à la gravité des textes sur la mort, qui présentent un autre versant de l’inspiration baroque. Poèmes de circonstance parcourant toute la gamme du comique au sérieux, poèmes de Carnaval d’inspiration rabelaisienne où Godolin opère la fusion du personnage de Carnaval (de tradition populaire) et du personnage mythologique de Silène (d’origine savante), épigrammes, fatrasies et fantaisies, Godolin a tout essayé avec une égale maîtrise, une finesse élégante et une truculence discrète. Outre ses qualités littéraires, son œuvre constitue un document irremplaçable sur l’occitan toulousain de XVIIe siècle.

Dans le texte tardif dont nous proposons le début, c’est le ton grave qui prévaut. Godolin y aborde la question de la mort d’une façon personnelle, selon la foi chrétienne qui l’anima à la fin de sa vie.



Quelques mots sur Pierre Goudoulin, par Jean-Claude Forêt | 1:55


De la mort – Ode

En voyant mort un camarade
Avec qui souvent j’ai ri
Mon esprit s’est tout ému
Et ma gaîté s’est retirée ;
Mais qui ne se trouble pas
À la pensée de ce passage
Qui n’a pas de retour au monde,
Quand l’homme au plus fort de son âge
N’a pas d’ami pour l’assister
Dans son duel avec la mort ?

 

Je ne sais bonnement où j’étais
Quand mon compagnon trépassé
Fut froidement abandonné
Dans un recoin de cimetière.
Mais je n’étais pas plus tôt chez moi
Que mon cœur me parla ainsi :
Comme les gens partent soudain !
Comme tous nous glissons au trou,
Où sur un corps que la vie quitte
Les vers tirent à qui mieux mieux !

 

Fils ingrats de notre misère,
Pour vous nous engraissons notre chair
Et nous achetons le plus cher morceau
Pour vous offrir meilleure chère.
De rien, malheureux, ne nous sert
La dure pierre qui recouvre
Les membranes et les os.
L’héritier nous y veut,
Et pour envelopper le corps
Il ne nous refusera pas un linceul.

[…]

Cadavre ami, tu dors maintenant.
Eh bien ! tu te réveilleras,
Et toi, l’esprit tu guériras
Qui là-dessous te purges encore ;
Si en Paradis tu habites,
Nous prions Dieu de t’y revoir
Loin de maladies et de guerre ;
C’est pourquoi je demande grâce
À celui qui fit ciel et terre,
Moi misérable pécheur.

Traduction Robert Lafont (2002) : Baroques occitans. Anthologie de la poésie en langue d’oc (1560-1660), Montpellier, CEO-PULM, p. 295-298.

De la mòrt – Òda

En vesent còs un camarada
Damb qui sovent avèm rigut
Tot l’esprit se m’es esmaugut
E ma gaietat retirada ;
Mès, qui non se trebola pas
Sus la pensada d’aquel pas
Que n’a plus de retorn al monde,
Quand l’òme dins l’atge plus fòrt
N’a pas d’amic que le segond
Al duèl d’el e de la mòrt.

 

Non sabi bonament ont èri
Quand le companhon trespassat
Forèc fredament delaissat
Dins un confinh de cementèri ;
Non forègui pas a l’ostal
Que le còr me dissèc atal :
Cossí las Gents ne van d’ausida !
Cossí tots leguenam al clòt
Ont sus un còs veuse de vida
Les vèrms fan al tira-qui-pòt.

 

Filhs ingrats de nòstra misèra
Per vos nos engraissam la carn
E crompam le bocin plus car
Ande vos far melhora chèra.
De ren, paurets, non nos servís
La dura pèira que crubís
Las pelagostas e les òsses ;
L’eritièr coitat nos i vòl
E per envelopar les còsses
Non planhirà pas un lençòl.

[…]

Ò ! còs amic, tu dòrmes ara,
E ben ja te revelharàs,
E tu, l’esprit, ja gariràs
Se lajós te purgas encara ;
S’en Paradís ès estatjant,
Nos pregam Dieu que t’i vejam
Luènh de malautiá e de guèrra ;
Per aquò demandi perdon
A qui fèc le Cèl e la Tèrra,
Ieu, miserable pecador.

Le Ramelet Mondin (La Floreta Novèla), éditions Gardy, Aix-en-Provence, Édisud, p. 192-193. Nous donnons les trois premières des onze strophes du poème, et la dernière.


  • 1984 : Philippe Gardy, éd., Lo Ramelet Mondin (La Floreta Novèla), Aix-en-Provence, Édisud.
  • 1983 : Christian Anatole éd., Pèire Godolin, Actes du Colloque international des 8-10 mai 1980, Toulouse, Université de Toulouse-Le Mirail.
  • 2002 : Pierre Escudé, Godolin, un poète au cœur de Toulouse, Toulouse, Loubatières.