Vernet Florian (1941)

Florian Vernet est un universitaire et écrivain né à Béziers, enseignant d’espagnol, puis d’occitan, doublé d’un pédagogue.

Son œuvre littéraire est essentiellement narrative et exclusivement écrite en occitan. Elle s’est construite sur un paradoxe ou plutôt une complémentarité : Vernet est un pédagogue nihiliste. Le second terme de cet oxymore, le nihilisme, trouve sa formulation la plus nette dans l’épigraphe du deuxième recueil de nouvelles, Miraus escurs, citation empruntée au philosophe André Comte-Sponville : « La seule vérité du sens est que le sens n’est jamais vrai (étant toujours, comme l’illusion même, fondé sur nos désirs) et que la connaissance, loin de révéler un sens, ne fait rien d’autre, quand parfois elle y parvient, que l’abolir. »

Cette quête de vérité va donc consister à démolir tout ce qui peut ressembler à du sens. Chaque nouvelle se propose d’en détruire un morceau, surtout ce qu’on appelle bon sens ou sens commun. N’étant pas philosophe (bien qu’il affirme plus d’une fois son admiration pour Spinoza), Vernet nous propose des situations insolites, absurdes ou encore saisies selon un angle de vue inhabituel. Par exemple, dans « L’amor, l’amor… » (Qualques Nòvas d’endacòm mai, p. 99) un public de robots regarde une scène de copulation à fonction documentaire, pour reconstituer la vie passée. Dans « De l’Amor o de sas banlègas » (Vidas e engranatges, p. 97), un homme est malheureux de faire l’amour avec la femme qu’il aime et qui se laisse faire avec une indifférence glacée, car ils sont tous deux des acteurs de peep-show, comme nous le découvrons à la chute du récit par une sorte de zoom arrière.

Florian Vernet a sans doute été le premier écrivain occitan à écrire de la science-fiction. Les deux premiers recueils ne contiennent que des nouvelles fantastiques ou de SF. Mais plus tard, dans Vidas e engranatges, sur les vingt-quatre nouvelles, sept seulement sont fantastiques. Le recueil s’ouvre sur la rupture fracassante d’un couple d’artistes « prolos » (« Vida vidants », p. 5) et se poursuit par le portrait du petit Boris, 13 ans, qui protège sa petite demi-sœur des dangers de la banlieue sordide où le sort les a condamnés à vivre (« Marina », p. 15).

J@rdin de las Delícias.com a pour narrateurs deux fœtus jumeaux conservés dans le formol et témoins très critiques de la vie de leur famille, dans une ambiance de fin du monde. Le dernier recueil, Fin de partida, mêle des thrillers avec tueurs à gages, trafiquants de drogue et règlements de compte à des récits d’amour ou d’amitié et des contes philosophiques, par exemple le conte « Ragnarök » où Dieu vient en personne à Béziers annoncer la fin du monde.

L’autre versant de cette écriture est le souci de la transmission. La lisibilité doit être immédiate et la langue la plus large et la plus intelligible possible. D’où l’adoption d’un standard qui soit en même temps normé, vivant et naturel. L’écrivain recourt au linguiste pour accomplir cette tâche pédagogique : créer dans l’écrit une langue orale utilisable par tous, faire de l’occitan standard une langue littéraire, le doter des expressions orales qui lui manquent, quitte à puiser dans la langue verte ou chez les auteurs baroques, dont il est un spécialiste.

Les livres de Florian Vernet sont faciles à lire, mais d’une très grande rigueur de composition et le plus souvent d’une grande force comique. Amateur de contes, excellent conteur, ce Schéhérazade mâle nous enchante au récit de la fin de notre monde.


Le fait est que…

Le fait est que quand j’y arrive devant l’immeuble et que je gare la camionnette, il doit être dans les deux heures du matin. Deux heures passées de quoi… passées de vingt minutes, disons. Je remarque tout de suite que la lumière est encore allumée au quatrième, dans l’appartement, au salon. Céline n’est pas couchée, putain, ça va barder. À la grosse scène d’enfer, garantie sur facture, j’y ai droit, elle va encore me gonfler force huit, que je me dis. Ça sent le roussi. Avec le mal de tête qui me tenaille depuis plus d’une heure, ça va être Star Wars en 16/9. Et tant que j’y suis, je me rappelle aussi que quand je suis parti pour aller à la répétition de l’orchestre, à huit heures pile, avec le groupe, elle a bien insisté pour que je revienne tôt, que c’était un grand jour, que je lui fasse plaisir, pour une fois qu’elle voulait me faire la surprise, qu’elle disait. La surprise, l’anniversaire de notre rencontre et de notre vie commune, il y a trois ans, quand Céline était encore la chanteuse du groupe que moi je venais d’intégrer. Je ne vous raconte pas.

Tout bien réfléchi, une invention à elle pour emmerder, cette idée d’anniversaire. Parce qu’elle, d’avoir été forcée de le laisser, l’orchestre, d’arrêter de chanter, elle ne s’y fait pas, Céline, elle ne s’y est pas faite et elle ne s’y fera jamais. Il faut être franc : en live, elle chantait comme une chèvre, et en play back, guère mieux, mais malgré tout, il y a trois ans, allez, même deux, elle était encore regardable, elle se faisait mater, à en bavasser, au moins, avec ses fringues ultracourtes et provocantes, couvertes de paillettes, décolletées sur le devant, sur le derrière et sur les côtés. Surtout par ces types, qui dans les bals se tiennent sans arrêt à côté de l’orchestre, la canette à la main. Le genre de costaud qui ne danse jamais et qui reluque les femmes trois heures de suite, avant de se castagner avec son voisin, surtout s’il est tout seul et maigrichon. Vous voyez le truc !

Bon, c’est pas tout ça, il faut y aller, je ne vais pas passer la nuit à me morfondre dans ma camionnette, que je me dis à la fin de ma méditation. Et reste zen, tu vas en avoir besoin. J’attrape ma guitare, la Fender de compétition, la même que celle d’Iggy Pop… je m’arrache de la cabine et j’amorce la montée de l’escalier. Je ne me sens pas trop fier, j’ai les jambes toutes molles, peut-être à cause de l’herbe qu’on a fumée, tous, histoire de nous mettre en condition, parce que la saison des bals approche et qu’on a du pain sur la planche si on veut être au top, avec tous les contrats qu’on a en vue, pour les fêtes de l’été. Sans parler des problèmes de l’administration, du courrier, des coups de fil qu’il a fallu commencer à se farcir et avec lesquels Tom, le responsable de l’orchestre, nous a pris une bonne heure. En montant ce putain d’escalier dont, à tous les coups, on a surélevé les marches dans le peu de temps où j’étais parti, je me dis que ce qu’elle ne peut pas supporter, Céline, finalement, c’est de s’être fait éjecter par Jennifer, qui est plus jeune qu’elle, qui est un peu pute, ça d’accord, mais qui, elle au moins, chante juste. Je le confirme parce que qu’on vient d’avoir notre répétition et il faut avouer que pour ce qui est de chanter, elle chante bien, même en anglais, Jennifer, et que je viens aussi de la raccompagner chez elle. Jennifer, elle m’a proposé de monter pour finir la nuit dignement, ce qui est une façon de parler quand vous la connaissez comme je la connais, depuis un fameux voyage qu’on a fait l’an dernier, et où tout a démarré avec elle. Mais vraiment je ne me sentais pas pour une partie de cul, j’étais crevé vu que je m’étais donné à fond, dans les solos, dans l’accompagnement et tout, et que le mélange des canettes et des amphet’s en plus du shit, moi je supporte rarement.

Florian Vernet, Vie quotidienne, incipit, in Vies e engrenages. Traduction de Jean-Claude Forêt.

Lo fach es que…

Lo fach es que quand i arribi davant l’immòble e que gari la camioneta, deu èsser aperaquí doas oras del matin. Doas oras passadas de qué… passadas de vint, digam. M’avisi sulpic que lo lum es encara alucat al quatren, dins l’apartament, al salon. Celina es pas colcada, macarèl, va camfrar. A la scenassa d’infèrn, garantida sus factura, i ai drech, me va encara conflar fòrça uèch, que me fau. Marcamal se passeja. Amb lo mal de cap que m’agarrís despuèi mai d’una ora, va èsser Star War en 16/9. E tant que i soi, me remembri tanben que quand soi partit per anar a la repeticion de l’orquèstra, a uèch oras petantas, amb lo grop, a plan insistit per que tornèsse lèu, qu’èra un grand jorn, que li faguèsse plaser, per un còp que me voliá far la suspresa, disiá. La suspresa, l’aniversari de nòstre rescontre e de nòstra vida comuna, tres ans abans, quand Celina èra encara la cantairitz del grop que veniái d’integrar, ieu. Vos conti pas.

Tot plan pensat, una invencion sieuna per emmerdar, aquesta idèa d’aniversari. Perque ela, d’èsser estada forçada de la daissar, l’orquèstra, d’arrestar de cantar, se i fa pas, Celina, se i es pas facha e se i farà pas jamai. Cal èsser franc : live, cantava coma una cabra, e en play back, gaire melhor, mas malgrat tot, fa tres ans, anem, dos, èra encara regardabla, fasiá badar e mai bavassejar, al mens, amb sos vestits cortets e provocaires, claufits de palhetas, despapachats sul davant, sul darrièr e pels costats. Mai que pus los tipes aquestes que dins los balètis se tenon de longa a costat de l’orquèstra, amb la caneta a la man. La mena de balès que dança pas jamai e que remira las femnas tres oras a de reng, abans de castanhar amb lo vesin, sustot s’es magrostin e tot sol. Mordètz lo daquò’s !

Bon, es pas lo tot, i cal anar, vau pas passar la nuèch a me secar dins la camioneta, me disi a la fin de ma meditacion. E demòra zen, que n’auràs de besonh. Aganti la guitarra, la Fender de competicion, la meteissa que la de Iggy Pop… me desrabi de la cabina e entameni la montada de l’escalièr. Me sentissi pas tròp flame, ai las cambas moligassas, rapòrt a l’èrba qu’avèm fumada, totes, tanplan, question de nos botar en condicion, per çò que la sason dels balètis pels vilatges se sarra e qu’avèm d’òbra sul taulièr se volèm èsser al tòp, amb totes los contractes qu’avèm en vista, per las fèstas de l’estiu. Sens parlar dels problèmas de l’administracion, del corrièr, de las telefonadas qu’a calgut començar de se braçar e que Tòm, lo responsable de l’orquèstra, nos a pres amb aquò una brava orada. Tot en montant aquela puta d’escalièr que, solid, n’auràn subre-auçat las grasas dins lo gaire de temps qu’èri partit, me disi que Celina, çò que pòt pas endurar, finala, es d’èsser estada escampada per Jennifer, qu’es mai jove qu’ela, qu’es un pauc puta, aquò’s entendut, mas que, al mens, canta just. O confirmi perque venèm d’aver la repeticion, e cal confessar que per cantar, canta plan, e mai en anglés, Jennifer, e que veni tanben de la racompanhar en cò sieu. Jennifer, m’a propausat de montar per acabar la nuèch dignament, qu’aquò’s un biais de dire quand la coneissètz coma la coneissi, despuèi un viatge famós que faguèrem, l’an pasat, e que tot s’engimbrèt amb ela. Mas me sentissiái pas, vertat, per una partida de cuol, èri crebat ja que m’èri donat a fons, dins los solòs, dins l’acompanhament e tot, e que lo mescladís de las canetas e de las anfètas en mai del shit, ieu l’encapi rarament.

Florian Vernet, Vida vidanta, incipit, in Vidas e engranatges, IEO « A tots », 2004, p. 5.




Florian Vernet parle de son rapport à l’écriture : «Je suis un écrivain par défaut, d’abord un lecteur, puis un enseignant» – 1 | 3:30
Florian Vernet parla de son rapòrt a l’escritura – 1 | 6:46

Rencontre avec Florian Vernet : « Un écrivain qui ne lit pas, ça n’existe pas » – 2 | 2:42
Florian Vernet parla de sas influéncias literàrias – 2 | 2:42

Florian Vernet – Œuvres

  • 1976 : Qualques nòvas d’endacòm mai, IEO « A tots ».
  • 1991 : Miraus escurs e rebats de guingòi, IEO « A tots ».
  • 1995 : E Freud dins aquò? seguit de My name is Degun, IEO « Crimis ».
  • 2001 : Ont’a passat ma planeta? seguit de Suça-sang connexion, IEO « Crimis ».
  • 2001 : Popre ficcion : Roman cosmico-marselhés, IEO « Crimis ».
  • 2004 : Vidas e engranatges, IEO « A tots ».
  • 2007 : J@rdin de las delícias.com. IEO « A tots ».
  • 2008 : La princessa Valentina e autres contes, livre-disque, CRDP de Montpellier.
  • 2013 : Fin de partida, Béziers, IEO Lengadòc.
  • 2013 : Lo grand secret de las bèstias e autres contes, livre-disque, CRDP de Montpellier.

Florian Vernet – Éditions et essais

  • 1996 : Petit lexique du provençal à l’époque baroque, Institut d’Études Niçoises / CEO Montpellier.
  • 2001 : Comèdias provençalas / Comédies provençales de Gaspard Zerbin, tròces causits, Biarritz, Atlantica.
  • 2002 : Dictionnaire grammatical de l’occitan moderne, Montpellier, CEO-PULM.
  • 2005 : Vocabulaire thématique français-occitan, Montpellier, CEO-PULM.
  • 2006 : La perlo dey musos et coumedies prouvensalos de Gaspard Zerbin, édition critique, Montpellier, CEO-PULM.
  • 2007 : Que dalle! Quand l’argot parle occitan, IEO-IDECO.
  • 2014 : Petit guide insolent des mots occitans passagers (clandestins) du français, Béziers, IEO Lengadòc.