Chabaud Sylvan / Chabaud Silvan (1980)

Sylvan Chabaud

Sylvan Chabaud

Né dans le Var, Sylvan Chabaud tient l’occitan à la fois d’un père militant occitaniste et d’un grand-père dont c’était la langue maternelle. Mais c’est au contact de la musique de Massilia Sound System qu’il adopte cette langue comme une des siennes.
Connu sous le pseudo de « Chab » au sein de Mauresca Fracàs Dub ou Mauresca (un groupe de ragga en occitan dont il est le chanteur et le compositeur), Sylvan Chabaud écrit, depuis les années de lycée, des poèmes et des chansons.
Ses études d’occitan à l’Université Paul Valéry de Montpellier ont été couronnées par une thèse sur le poète provençal Bellaud de la Bellaudière (XVIe siècle).
Il se consacre pleinement à la musique, à l’écriture et à la création actuelle en langue d’oc. Son premier recueil de poésie, Leis illas infinidas / Les îles infinies, a été publié en 2012 aux éditions Jorn. Cet ouvrage est ainsi présenté sur le site de Jorn :

Toute île est une désirade. Toute île est rêvée, tout rêve est insulaire. Les îles infinies de Sylvan Chabaud (infinies en nombre, en merveilles, en éloignement ?) sont autant de poèmes du désir. Désirs multiples, dont le plus immédiat est celui de l’instant qu’il faut saisir au vol, coûte que coûte, comme on aborde sur une île : « Être là, / être au monde, maintenant, now, at the moment. / Chose si compliquée pour les hommes de mon siècle. » L’ici et maintenant est l’île la plus inaccessible. Sa quête tourne à l’angoisse : « Nous passons notre vie / à essayer de la vivre / et nous perdons tant de temps / à nous perdre / dans le temps… » Tel poème consigne soigneusement la date d’une baignade en rivière, moment privilégié d’une dissolution heureuse dans ce temps convoité, et le recueil se referme sur une plongée dans la mer et le monde. Le désir est aussi appétit de nature et d’éléments : arbres (l’oranger des Osages inattendu de l’arboretum de Granouillet, un érable (« rouge / dans le blanc fascinant / du calcaire égrainé), paysages (le Mont Aigoual, les gorges de la Vis) et bien sûr îles réelles, à commencer par l’île singulière, Sète, « île échouée, / garrigue noyée, / rêve de flibuste », mais aussi îles Mèdes de Catalogne ou îles Moines de Corse. Autre objet de fascination pour le poète : les sites préhistoriques, îles de pierre émergeant du plus lointain passé et marquant la fusion parfaite de l’homme dans la nature, dolmen des Lavagnes, menhir de Cazarils, pierre écrite du Haut Verdon.
Le poète parvient à suivre la pulsation de la pensée et de l’émotion. Il a choisi la simplicité : des poèmes brefs, un lexique simple et transparent, une lisibilité immédiate, aucune posture théâtrale ni imposture poétique. Un univers de nature et d’humanité se dessine, limpide et plein de ferveur, brûlé d’un amour de la vie qui s’exprime sans lyrisme bavard, avec sa juste mesure d’enthousiasme.
La langue, la langue occitane, est l’objet principal du désir, désir de langue qui rassemble tous les autres, comme il réunit les trois poètes invités dans le recueil, Omar Khayyam, Bellaud de la Bellaudière, le poète provençal du XVIe siècle, et Jack Kerouac, trois chasseurs de mots et d’instants. Pour reprendre un des titres du recueil, les poèmes de Sylvan Chabaud sont autant de Sporades éparpillées dans l’océan des âges, des concrétions de langue jalonnant nos vies de Petit Poucet, des tentatives de comprendre la part d’éternité que nous renfermons dans « la substance fugitive du temps » (Borges) qui nous charrie.

Bellaud

De ta prison
tu as trouvé la clé musicale,
un carnaval de sonnets
pour ouvrir les portes de la langue
et nous offrir une gerbe d’instants
comme fleurs de genêt
aux fêtes d’Aix-en-Provence.

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 38. Traduction de l’auteur.

Belaud

De ta preson
as trobat la clau musicala
un carnaval de sonets
per duerbir lei pòrtas de la lenga
e nos ofrir una garba d’instants
coma flors de ginesta
ai festas de-z-Ais.

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 38.

Naissance

À Alaïs

J’imagine que les étoiles naissent de la même façon,
lumière, poussière et vents,
chaleur, sang et sueur,
immensité d’une promesse solaire.

J’imagine que tu possèdes autant de lendemains
qu’il y a de sel dans la mer
et que tu es un monde neuf,
la force sans limites d’un univers déployé.

Tu es dans mes mains
et la vie rejaillit de tous côtés :
une pluie généreuse.

J’imagine que les étoiles font de même,
en naissant elles doivent jouer cette musique de printemps,
le chant profond d’une vie qui commence.

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 8. Traduction de l’auteur.

Naissança

A Alaïs

Imagini que leis estelas naissan dau meme biais,
lutz, posca e vents,
calor, sang et sudor,
immensitat d’una promessa solara.

Imagine qu’as tant d’endemans
coma i a de sau dins la mer
e que siás un monde nòu,
la fòrça sensa confinha d’un univers espandit.

Siás dins mei mans
e la vida regiscla d’en pertot :
una plueia generosa.

Imagini que leis estelas fan parier,
en naissent devon jogar aquela musica de prima,
lo cant prigond d’una vida que comença.

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 9.

Rap

J’ai peur de tout
tout me semble être à l’envers
et je veux m’enivrer ce soir.
Je monte le son
de vieux morceaux de rap oubliés,
la dernière poésie qui vaut le coup.

Poèmes perdus sur un grésillement de vinyle,
le cycle du sample souligne le style du chant,
tout devient plus clair.

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 64. Traduction de l’auteur.

Rap

Au paur de tot
me sembla que tot es a revers
e vòli m’empegar aquesta sera.
Monti lo son de vièlhs tròç de rap oblidats,
la darriera poesia que vau lo còp.

Poèmas perduts sus un gresilhament de vinil,
lo cicle dau sample soslinha l’estile dau cant,
tot ven mai clar.

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 65.

Aigoual

L’Aigoual est un astre blanc
un soleil ardent
au bout de la route
qui file sur le causse nimbé de lumière.

Tout se mêle
le ciel, l’espace, la route et la neige, là-bas
au faîte des Cévennes.

La vie s’embrase de toutes parts,
des myriades de galaxies
se percutent dans la béance de mon être ;

l’océan primal semble remonter
jusqu’aux calanques asséchées
des falaises de Montpeyroux
en bas dans la mer de vignes
où renaissent
les huîtres fossiles.

L’Aigoual est un astre blanc,
une île blanche dans le fleuve du ciel.

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 46. Traduction de Marie-Christine Rixte (revue Le Cerf Volant).

Augal

Augal es un astre blanc
un soleu bleuge
au bot de la rota
que fila sus lo causse negat de lutz.

Tot se mescla
lo cèu, l’espandí, la rota e la nèu, alai
en cima de Cevena.

La vida crema d’en pertot,
milanta galaxías
se tuertan dins lo nonren de mon estre ;

L’ocean primau sembla de remontar
fins ai calancas assecadas
dei rancs de Montpeirós
avau dins la mar de vinhas
onte renaisson
leis ustras fossilizadas.

Augal es un astre blanc,
una illa blanca dins lo flume dau cèu.

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 47.

Gravure

(Baume de la Vache, Laroque)

À l’entrée de la grotte,
l’échine gravée d’un animal
à jamais disparu,
nous fait signe
Dérisoire et fragile beauté
d’un simple dessin :
la courbe épouse la pierre.

En bas la rivière continue de creuser les gorges.

Nous sommets muets
Et peut-être un peu plus vivants,
comment dire
la musique de la main sur la roche usée ?

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 67. Traduction de l’auteur.

Escrinceladura

(Bauma de la Vaca, Laròca)

A l’intrada de la bauma
l’esquina escrincelada d’un animau
a jamai desaparegut,
nos fa signe.
Derisòria e freula beutat
d’un dessenh simple :
la corba esposa la pèira.

Avau la ribiera contunha de cavar la gòrga.

Siam muts
e bensai un pauc mai vivents,
coma dire
la musica de la man sus la ròca aliscada?

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 67.

Vendanges

Une odeur forte de raisin écrasé
a envahi les rues du village.
Temps de vendanges,
le pays transpire
et expire un souffle raisiné.
Nous sommes dans une mer de vin,
les tracteurs s’en vont à l’aube
comme autant de bateaux détachés.
Montpeyroux,
tu es une île rouge
dans les vagues de septembre.

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 38. Traduction de l’auteur.

Vendémias

Una odor fòrta de rasim esquichat
a pres lei carrieras dau vilatge.
Temps de vendémias,
lo país tressusa e polsa
un buf enrasinat.
Siam dins una mar de vin,
lei tractors se’n van ais aubetas
coma tant de batèus destacats.
Montpeirós,
siás una illa roja
dins leis ersas de setembre.

Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 38.

Silvan Chabaud, « Bellaud »
Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 38. Legit e presentat per l’autor.
Silvan Chabaud, « Naissença »
Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 9. Legit e presentat per l’autor.
Silvan Chabaud, « Rap rapat »
Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 64. Interpretat en rap per l’autor.

Silvan Chabaud, « Augal »
Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012,p. 47. Legit e presentat per l’autor.

Silvan Chabaud, « Escrinceladura »
Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 67. Legit e presentat per l’autor.

Silvan Chabaud, « Vendémias »
Leis illas infinidas / Les îles infinies, Montpeyroux, Jorn, 2012, p. 38. Legit per l’autor.


Entretien avec l’auteur


Cette langue était présente dans ma famille, j’ai un père militant occitaniste, ensuite grâce à la musique et à la littérature j’y ai trouvé un fabuleux espace de création et de découvertes. C’est à la fois une langue « héritée » et une langue « choisie », une langue d’action et de création.

J’ai toujours écrit dans mes deux langues, en occitan et en français, la plupart de mes chansons sont bilingues, ensuite pour ce qui est de la poésie j’écris plus souvent en occitan et passe à la version française de suite, comme une traduction simultanée.

Je pense que le fait d’employer l’occitan permet une vision différente, un peu décalée et originale, moins attendue du moins… je n’y vois pas vraiment un choix militant, même si de fait la situation de l’occitan nous engage dans une voie active, différente, et nous pousse à réfléchir plus, à nous justifier souvent donc à être conscient, à élaborer une réflexion là-dessus qui rejoint des considérations générales sur notre façon de voir le monde, les langues, les cultures, les peuples. Esthétiquement c’est un choix important, l’occitan a des sonorités, des références, une histoire et des caractéristiques propres qui influent sur le résultat esthétique de l’écriture. Affectivement, l’occitan est une langue de ma famille mais une langue un peu « cachée », celle du militant et du passionné et érudit qu’est mon père et celle des anciens, liée à la Provence où j’ai grandi, des lieux, des gens, des couleurs, des anecdotes, forcément ça joue beaucoup. Affectivement c’est la langue de mon « blues », ce folklore dans le sens de science du peuple: une musique qui m’accompagne depuis tout petit, mais en dessous de l’autre musique, celle du français. Donc une musique fascinante par sa rareté et sa capacité à passer à travers les portes et les murs de l’inconscient.

Comme je le disais c’est à la fois une langue héritée de ma famille, la langue d’un père qui a déjà fait ce travail de réappropriation et la langue naturelle de mon grand-père maternel (ma mère aussi, même si elle ne parle que très peu la langue, est très sensible à cette culture qui est sienne, profondément). Puis c’est la langue de la musique que j’écoute depuis très longtemps. Et une langue réapprise à l’école et à l’université. Puis bien-sûr une langue littéraire, celle des auteurs que j’apprécie des troubadours à Mistral, Bellaud, en passant par Pécout et tant d’autres.. Je dirais langue un tout petit peu héritée mais ça ne suffit vraiment pas, fallait approfondir, s’en emparer, travailler, agir avec cette langue.
Oui, moi j’écris en provençal maritime mais les diverses influences des autres dialectes, des lectures, des rencontres, font que mon provençal est différent de celui que parlait mon grand père!
Le public est rare je trouve pour la poésie occitane. Même dans le milieu occitaniste, après l’édition de mes poèmes j’ai dû être invité 2 fois à lire ces textes pas plus. Mais pour la poésie en général aussi ; j’ai un outil de comparaison avec la musique où je rencontre énormément de gens de tous âges, je diffuse mon travail sur scène de partout, dans les CD aussi… la poésie reste très restreinte dans son impact par rapport à la musique même si j’ai tout de même la grande chance d’avoir eu droit à une édition.
Personnellement j’ai rapidement été publié grâce à la revue OC qui est une chance pour la poésie occitane! après pour ce qui est de sortir un livre, c’est plus dur! Je ne sais pas si les éditions en occitan sont assez aidées ou pas mais je constate que quelques éditions de prestige et de grande qualité existent (Jorn, Trabucaire etc..) avec des ouvrages de belle facture. Je pense que le bât blesse du côté du roman, des nouvelles, où je trouve peu de choses actuelles vraiment intéressantes.  La situation du livre en général est compliquée de toutes façons ! En Languedoc on a LR2L qui s’intéresse un peu à nous, mais c’est encore restreint.

Je pense que c’est dans la presse généraliste que l’on doit exister, la presse occitane fait globalement son travail, mais la littérature occitane doit être traitée dans la presse nationale et internationale, pour ça il faut déjà être au niveau… et malgré nos illustres ainés tels que Rouquette ou Pécout, on a pas encore de jeunes de la nouvelle génération avec autant d’impact… Encore une fois je fais la comparaison avec la musique où nous avons accès à pas mal de médias nationaux, la poésie est assez absente en général des grands médias donc en occitan c’est pareil!

Je pense que mes modèles et influences viennent principalement d’écrivains étrangers, d’expression anglaise, américaine surtout. Ces derniers temps je suis avide de Kerouac, Ginsberg, Durell, Hemingway… Pour l’occitan je me suis pas mal replongé dans les troubadours, et puis je me suis aussi beaucoup tourné vers la littérature nippone, la littérature persane médiévale… et d’autres choses diverses! Comme dans la musique, il est important que la création occitane écoute le monde et essaie ensuite d’y apporter son grain de sel, j’ai d’ailleurs remarqué que beaucoup d’écrivains étrangers et de renom se sont intéressés de près ou de loin à notre langue, notre littérature, il y a donc un dialogue à établir. Personnellement pour l’écriture, j’essaie maintenant de ne pas trop lire de littérature occitane parce que souvent on revient sur les mêmes choses et c’est normal ! C’est dur d’oxygéner notre univers, de sortir des sentiers battus, c’est pourtant ce qu’il faut faire.


Silvan Chabaud, « La poesia es dins la vida »
Silvan Chabaud parla de sa poesia.

Sylvan Chabaud – Bibliographie – sitographie – discographie

Sylvan Chabaud – Discographie
Albums de Mauresca fracàs dub.

  • 2001 : Francament, Mauresca fracàs dub, Mosaïc Music.
  • 2005 : Contèsta, Mauresca fracàs dub, Mosaïc Music.
  • 2008 : Bartàs, Mauresca fracàs dub, Mosaïc Music.
  • 2010 : Cooperativa, Mauresca fracàs sub, L’autre distribution.
  • 2012 : Doctors de Trobar, album éponyme.
  • 2014 : Riòta, Mauresca fracàs sub, L’autre distribution.
  • 2015 : Participation à l’album Made In Aquí, Guilhem Lopez.