
« BnF ms. 12473 fol. 149 – Peire Cardenal (1) » par Inconnu — Cette image provient de la Bibliothèque en ligne Gallica et est d’identifiant btv1b60007960Ce bandeau n’indique rien sur le statut de l’œuvre au regard du droit d’auteur. Un bandeau de droit d’auteur est requis. Voir Commons:À propos des licences pour plus d’informations. . Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons.
Pèire Cardenal, originaire du Puy-en-Velay, né en 1180, mourut en 1278 à presque cent ans. Son parcours poétique est aussi celui de la lyrique occitane du XIIIe siècle dont il est représentatif : commençant à « trouver » avant la croisade albigeoise dans un registre courtois, il abandonne très vite la cançon, pour le sirventés où il excelle dans la satire morale et politique. Cardenal vécut de sa profession, protégé par les comtes de Toulouse Raimon VI et VII avant de perdre tout protecteur à la mort de ce dernier (1249) et d’errer de cour en cour entre soixante-dix et quatre-vingts ans, puis de retrouver une stabilité à Montpellier, sous la protection du roi Jacques Ier d’Aragon. Jusqu’à la fin de sa vie Pèire Cardenal maintiendra un ton poétique contestataire et rigoriste. Si en dehors de quelques coblas, les cansos de jeunesse de Cardenal ont été perdues, on possède par contre près d’une centaine de poèmes de ce troubadour, qui en dehors du sirventés s’est illustré dans des genres plus rares : fable, estribot, sermon, crida… L’estribot est à la fois une attaque très dure contre le clergé et un credo catholique qui sépare très clairement Cardenal du catharisme, avec lequel il partage néanmoins une rigueur morale à toute épreuve face aux corruptions séculaires.
Parmi les poèmes de Pèire Cardenal les plus célèbres, on notera son sirventés décrivant la chute de la civilisation d’oc avec la Croisade contre les Albigeois (« Fausseté et Démesure/ Ont entrepris de batailler / Avec Verité et avec Droiture/ E la fausseté a vaincu… ») et la triade de sirventés d’une grande violence contre son compatriote Estève de Belmon, clerc du Puy, qui accompagna et soutint les croisés.
En dehors des sirventés, certaines chansons mystiques atteignent des sommets, comme le rappelle C. Belluomo : « L’hymne à la Croix demeure l’un des plus beaux poèmes jamais écrits sur le bois du Salut, l’arbre de la mort devenu arbre de vie, marque de douleur devenue signe de gloire. » Il en va de même pour un « Hymne à la Vierge » parfaitement ciselé : « David, en la prophetía / Dis, en un salme que fes, Qu’al destre de Dieu sezía / Del rey en la ley promes, / Una reÿna qu’avia / Vestirs de var e d’aurfres : Tu iest elha, ses falhía ». (David, dans la Prophétie, / Dit, en un psaume qu’il fit, / Qu’à la droite de Dieu, / Du Roi promis dans la loi / était assise une Reine qui avait / Des vêtements de vairs e d’orfraie : / Tu es celle-ci sans erreur possible.)
Des quatre chefs qu’a la Croix…
I. Des quatre chefs qu’a la Croix, l’un tend en haut, vers le firmament, l’autre vers l’abîme (l’enfer) – celui d’en bas – et l’autre tend vers l’Orient, et l’autre vers l’Occident, et par ainsi la croix indique que Christ a tout cela en son pouvoir.
II. La croix est le vrai gonfanon du roi de qui tout ce qui est dépend et que l’on doit suivre en tous temps, accomplissant ses volontés. Car qui plus y agit plus y reçoit et tout homme qui à lui s’attachera est sûr d’être mis en bon lieu.
III. Christ mourut sur la croix pour nous et détruisit notre mort en mourant. Et sur la croix il triomphera du Superbe sur le bois même où celui-ci triomphait des hommes, et sur la croix il fit l’œuvre de salut, et sur la croix il régna et règne, et sur la croix il voulut nous racheter.
IV. Ce fait-ci fut merveilleux : que du bois où mort prit naissance naquirent pour nous vie et pardon, et repos au lieu de tourment, sur la croix vraiment peut trouver tout homme qui consent à l’y chercher le fruit de l’arbre de science.
V. Ce fruit, nous sommes tous conviés à le cueillir amoureusement, car c’est un fruit si beau et si bon que, qui le cueillera bel et bien, toujours aura vie durable. Aussi que nul n’hésite à le cueillir pendant qu’il en a occasion et pouvoir.
VI. Le doux fruit, il le cueille celui qui prend la croix et qui suit le Christ vers quelque endroit qu’il aille, car c’est le fruit de savoir.
Dels quatre caps que a la cros…
I
Dels quatre caps que a la cros
ten l’us sus, vas lo fermamen,
l’autre vas abis, selh de jos,
e l’autre ten vas orien,
e l’autre ten vas occiden ;
e per aital entresenha
que Cristz o a tot en poder.
II
La crotz es lo dreitz gofainos
del rey cuy tot cant es apen,
qu’om deu seguir totas sazos
las suas volontatz fazen.
Car qui mais y fay mais y pren
e totz homs qu’ap lui se tenha
es segurs de bon loc aver.
III
Cristz mori en la cros per nos
e destruis nostra mort moren.
E en cros venset l’ergulhos
el leinh on vensia la gen,
et en cros obret salvamen,
et en cros renhet e renha,
et en cros nos volc rezemer.
IV
Aquest fagz fo meravilhos:
qu’el leinh on pres mortz naissemen
nos nasquet vida e perdos
e repaus en loc de tormen;
en cros pot trobar veramen
totz homs que querre l’i denha
lo frug del albre de saber.
V
Ad aquest frug em tug somos
que·l culham amorozamen
que frugz es tan bels e tan bos
que qui·l culhira ben ni gen
tostemps aura vida valen;
per qu’om de culhir no·l s fenha
mentre qu’en a loc e lezer.
VI
Lo dous frug cuelh qui la cros pren
e sec Crist vas on que tenha,
que Cristz es lo frugz de saber.
Pèire Cardenal – Éditions
- 1957 : Poésies complètes du troubadour Peire Cardenal (1180-1278), Toulouse, édition. René Lavaud.
- 1970 : Pèire Cardenal : Troces causits, édition Charles Camproux, CEO, Université Paul Valéry.
Pèire Cardenal – Études
- 1986 : Inque Tomié, « Peire Cardinal et l’amour courtois », Bulletin de l’Université de Beppu.
- 1987 : Inque Tomié, « Peire Cardinal et les chansons pieuses », Bulletin de littérature française, Société japonaise de langue et littérature françaises dans le Kyushu.
- 1990 : Vatteroni Sergio, « Peire Cardenal e l’estribot nella poesia provenzale », Medioevo romanzo XV, p. 61-91.
- 1992 : Sakari Ellen, « Observations sur l’ironie de la chanson Ar me puesc ieu lauzar d’amor (335,7) de Peire Cardenal », Actes de Montpellier 1990 (AIEO III), p. 1153-1158. 1993 : Vatteroni Sergio, « Pour une nouvelle édition critique de Peire Cardenal », Actes de Turin 1987 (AIEO II), p. 401-408. 1993 : Brunetti-Zollikofer Giuseppina Dida B., « Intorno al Liederbuch di Peire Cardenal ed ai « libri d’autore » : alcune riflessioni sulla tradizione della lirica fra XII e XIII secolo », Actes du XXe Congrès International de Linguistique et Philologie Romanes, Univ. de Zurich (6-11 avril 1992), Tübingen, V, p. 57-71. 1998 : Ernvall Lisa, « De Bernart de Ventadorn à Peire Cardenal – réminiscences d’une société féodale dans les poésies des troubadours », Montpellier, Bulletins de l’AIEO, n° 14, avril 1998, p. 47-49. 1998 : Vatteroni Sergio, « Per lo studio dei Liederbücher trobadorici : I Peire Cardenal ; II. Gaucelm Faidit », CN LVIII, p. 7-89.