
« Bertran de Born – BN MS fr 12473 » par [[user:]] — Bibliothèque Nationale, MS cod. fr. 12473. Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons.
Mêlé aux aléas politiques de son temps, cet aristocrate, nourri de chansons de geste, s’en prend, dans une œuvre pleine d’allant, aux grands seigneurs contemporains qui ne respectent pas les règles de la chevalerie : il se fait ainsi porte-parole de la morale aristocratique.
Lors de la rébellion des barons aquitains, Bertran soutint les fils d’Henri II Plantagenêt, Henri le Jeune et Geoffroy de Bretagne, contre leur frère Richard, mais après l’échec de l’entreprise, il obtint le pardon du roi et sut se concilier la faveur de Richard auquel il demeura désormais fidèle.
Bertran de Born fait partie des troubadours débordés par leur légende. Les vidas, les rasons, et plus encore l’impressionnant portrait qu’en fera Dante dans le Chant 28 de l’Enfer, imposeront l’image d’un troubadour guerrier au détriment de ses qualités de troubadours.
Auteur de chansons aussi appréciées pour leurs textes que leur musique, il demeure néanmoins, le maître du sirventés auquel il a apporté ses lettres de noblesse en n’hésitant pas à suivre des schémas de chansons particulièrement difficiles. On a pu dire de lui : « Poète, il a célébré l’énergie vitale des combats dans des descriptions d’une sauvage beauté où les étendards remplacent les fleurs et le clairon les oiseaux » (Gérard Gouiran).
Le sirventés, genre formellement imité des cançons, devient un genre noble avec Bertran de Born.
Sa composition « Can mi perpens ni m’arbire » montre un changement de ton radical : le chantre de la guerre achève sa carrière poétique par une œuvre religieuse, réflexion sur la mort, de haute tenue.
Il nous reste de lui une œuvre abondante (près d’une cinquantaine de textes) qui en fait un troubadour de tout premier plan, qui a su intégrer dans la poésie lyrique l’impétuosité des valeurs épiques.
Le comte m’a fait savoir…
I – Le comte m’a fait savoir et commandé par Raimon Luc d’Esparron que je fasse pour lui une chanson telle que soient rompus mille écus, heaumes, hauberts et hoquetons, et troués et déchirés les pourpoints.
II – Et il faudra qu’on lui prête attention, puisqu’il me fait exposer ses motifs, et que je ne refuse pas, puisqu’il a fait cette convention avec moi. Sinon, les Gascons m’en blâmeront, et je me considère comme obligé envers eux.
III – À Toulouse, au-delà de Montaigu, le comte plantera son gonfanon dans le Pré-Comtal, à côté du Peyrou ; et quand il aura dressé sa tente, nous nous installerons tout autour, si nombreux que nous devrons y coucher trois nuits sur la terre nue.
IV – Et là seront venus avec nous les grands et les barons et les compagnons les plus honorés et les plus célèbres du monde ; ils y seront venus, qui pour le gain, qui pour la convocation, qui pour la gloire.
V – Et dès que nous serons arrivés, le combat s’engagera sur le terrain, et les Catalans et les Aragonais tomberont souvent et en grand nombre, car leurs arçons ne les soutiendront pas, si grands seront les coups dont nous les frapperons avec rudesse.
VI – Rien ne peut empêcher que des éclats de lance ne volent vers le ciel et que ne soient déchirés les vêtements de cendal, de siglaton et de samit, et détruits cordes, tentes, piquets et pavillons dressés.
VII – Que le roi qui a perdu Tarascon et le seigneur de Montauberon, Roger et le fils de Bernard Atho et le comte Pierre leur viennent en aide, ainsi que le comte de Foix avec Bernard et Sancho, le frère du roi vaincu.
E – Là-bas, qu’ils songent à s’équiper, car ici, on leur prêtera attention. Je veux que les hauts barons soient toujours irrités les uns contre les autres.
Lo coms m’a mandat e mogut
Lo coms m’a mandat e mogut
Per N’Araimon Luc d’Esparo
Q’ieu fassa per lui tal chansso
On sion trencat mil escut,
Elm et ausberc et alcoto,
E perpoing falsat e romput.
Et er l’ops que sia atendut,
Pois comtar mi fai sa razo,
E que ges non diga de no,
Depois que m’o a covengut ;
Que blastimarant m’en Gasco,
Car de lor mi tenc per tengut.
A Tolosa, part Montagut,
Fermara·l coms son gomfano
El prat comtal, costa·l Peiro ;
E qand aura son trap tendut,
E nos lotjarem de viro
Tant que tres nuoitz i jairem nut.
E seran i ab nos vengut
Las poestatz e li baro
E li plus honrat compaigno
Del mon e li plus mentaugut ;
Que per aver, que per somo,
Que per pretz s’i serant mogut.
E desse que serem vengut,
Mesclar s’a·l torneis pel cambo
E·ll Catalan e·ll d’Arago
Tombaran soven e menut,
Que no-ls sostenran lor arso,
Tant grans colps los ferrem nos drut.
E non pot esser remasut
Contra-l cel non volon tronco
E que cendat e cisclato
E samit non sion romput,
Cordas e tendas e paisso
E trap e pavaillon tendut.
Lo reis q’a Tarascon perdut
E·l seigner de Mon-Albeo,
Rotgiers e·l fills Bernart Otho
E lo coms Peire lor n’aiut
E·l coms de Fois ab Bernardo
E·n Sans, fraire del rei vencut.
De lai, pensson de garnizo,
Que de sai lor er atendut.
Totz temps vuoill que li aut baro
Sion entre lor irascut.
Bertran de Born – Éditions
- 1986 : The Poems of the Troubadour Bertran de Born, William D. Padden, jr., Tilde Sankovitch & Patricia H. Stäblein (ed. and transl.), Berkeley, Los Angeles & London, 1986.
- 1987 : Le Seigneur-Troubadour de Hautefort, l’œuvre de Bertran de Born, éditions G. Gouiran, Publications Université de Provence.
- 1991 : Francisco Fernández Campo, « La estética de la violencia en Bertran de Born », Homenaxe ó Profesor Constantino García, II, p. 309-314, Univ. de Santiago.
- 1987 : Gérard Gouiran, « Bertran de Born et le comte Geoffroy de Bretagne », Actes du congrès de Southampton 1984 (AIEO I), p. 229-241.
- 1991 : Gérard Gouiran, « Un genre à la jonction de l’histoire et de la littérature : les sirventés (à partir de textes de Bertran de Born) », Actes du Colloque du CEM de l’Université de Picardie, Amiens 1985, Göppingen 1991, p. 129-141.
- 1995 : Gérard Gouiran, « Bertran de Born, troubadour de la violence ? » in La violence dans le monde médiéval, Senefiance n°36, CUER MA, Aix-en-Provence, p. 199-214.
- 1997 : Wiliam, D. Paden, « Pour un modèle de la communication chez Bertran de Born », Ensi firent li ancessor : Mélanges de philologie médiévale offerts à Marc-René Jung, ed. L. Rossi, Chr. Jacob-Hugon, U. Bahler, Alessandria, Edizioni dell’Orso, I, p. 119-29.