Garros (Pey de) (1525 ? 1530 ? – 1581 ? 1583 ?)

L'obra de Garros qu'ei libra de dret (mort mantun segles)

Par imprimeur du XVI siecleOriginal uploader was Lembeye at oc.wikipedia — gallica.bnf.frTransféré de en.wikipedia à Commons.(Original text : Transféré de oc.wikipedia à Commons.), Domaine public, $3

Pey de Garros (Pèir de Garròs en graphie classique, Pèir correspondant au prénom français Pierre) naît à Lectoure (Gers) d’une famille de petite noblesse. Il est étudiant en droit à Toulouse, licencié puis docteur. Après un séjour à Lausanne, il se fait protestant, autour de 1560, et lie sa carrière à la cause navarraise, comme conseiller à la Cour de Navarre.

Pey de Garros est un patriote gascon. Il se place, sans flagornerie, au service de la cour de Navarre, comme Ronsard se met au service du roi de France, dans l’espoir que les souverains béarnais, en l’occurrence Jeanne d’Albret, participeront à l’avènement d’une nation gasconne encore à naître. Il allie patriotisme monarchique et patriotisme linguistique. Il se propose « [de] prene la causa damnada de nosta lenga mesprezada » [Note]

Pour cela, il effectuera un travail unificateur pour aboutir à une harmonisation des parlers gascons, qu’il appelle « conférence ». Comme poète, il veut « défendre et illustrer » la langue gasconne dans des genres qui ne doivent rien à l’imitation de la Pléiade française. Délaissant le pétrarquisme, il se tourne plutôt vers le modèle latin : poèmes héroïques sur des personnages historiques ou mythologiques de l’Antiquité et surtout églogues virgiliennes.

Ces huit églogues témoignent des malheurs de ces temps troublés, comme celles de Virgile se faisaient l’écho des guerres civiles de la république romaine. Deux d’entre elles se présentent en octosyllabes sous forme de monologues d’arlots, l’un heureux dans le pillage, l’autre réduit à la mendicité : un arlot est un ancien paysan devenu mercenaire au service d’une des factions en présence pendant les Guerres de Religion. Les autres sont des dialogues en décasyllabes de paysans victimes des guerres ou débattant de leurs affaires de ménage. Ces églogues nous enchantent encore par leur réalisme, leur invention verbale et leur puissance d’évocation. Leur langue reste un modèle de naturel et de pureté pour le lecteur moderne.



Épitre à un jeune poète [Note]

Ainsi puisqu’il vous a plu
De composer des vers en gascon,
Vous n’aurez pas été par moi
Vainement sollicité
D’entreprendre la cause perdue
De notre langue méprisée.
Comme perdue vous pouvez la considérer
Si personne ne veut la défendre :
Chacun l’abandonne ou la maltraite.
Tout le monde l’appelle barbare ;
Et, chose bien plus déplorable,
Nous-mêmes nous nous moquons d’elle.
Oh ! Pauvre génération abusée,
Digne d’être chassée du pays,
Qui abandonne avec ingratitude
La langue de ta nourrice
Qui exprime si bien toutes choses,
Pour apprendre un langage fardé ;
Et tu ne tiens compte du secours
Que tu dois au pays d’origine.
Voilà, certes, tout bien réfléchi,
Qui est mal récompenser son pays.
Mais de ma part, je vous assure,
Et je vous jure en conscience
Que j’écrirai avec ardeur,
Que je ne me tairai et n’aurai de cesse
Que nous ne soyons tous d’accord
Et unis dans une résolution commune
Pour soutenir l’honneur du pays
Et maintenir sa dignité,
Non pas avec des épées aiguisées
Ou des lances de sang avides.
On sait assez que le harnais luisant
N’est pas naturellement agréable ;
Que cependant nous savons le manier
Contre qui vient nous tarabuster ;
Mais au lieu de lances pointues,
Armons-nous de plumes aigües
Pour orner le gascon langage,
Pour qu’on vante d’âge en âge
La race et son beau parler
Qui vaincra comme par les armes.

Poésies gasconnes, 1567, traduction d’A. Durieux remaniée, Auch, 1885.

Églogue IV : Herran (début)

Hélas ! Comment dormirai-je cette nuit, le pied léger, le ventre vide ? Je me suis vu convive dispos de Jacques Bonhomme sans qu’il m’en coûte. Je me suis vu gaillard, repu du bien conquis par autrui, pourvu, gras et luisant, et joyeux plus qu’à présent. Maintenant la pauvreté lépreuse, la maladie et la maigreur ont fait de mes jambes des fuseaux et de mes deux bras des chalumeaux. Maint pari me gagnaient mes bras musclés, quand ils bandaient les arbalètes sans poulies. Que le feu maudit brûle l’enragé magister, cause et raison que mon corps si mal se repose. Cette canaille de curé s’appelait monsieur Durand et ne savait ni lire ni écrire, ni bien parler ni bien vivre, mais avec cela cet ivrogne, méchant comme un chat borgne, pour enseigner dans notre école, à grands frais était loué. Il nettoyait les goussets des paysans et prélevait de grosses rétributions. Un jour il se vanta à ma tante qu’il ferait docteur en clergie tous les enfants de sa classe, pourvu qu’en plus de sa mensualité chacun se montrât honnête et lui apportât gratuitement un bon présent. Je lui apportai un gros quartier de chair salée que le coquin, quand il en mangeait, coupait sur son bréviaire. Malgré ce, l’oint graisseux était plus lisse, mais pas plus doux. Au contraire, dès qu’il voulait parler, il nous faisait trembler de peur. Un jour, je m’en souviens bien, c’était la fête de Saint-Georges, il me conduisit aux saulaies, près de nos pommeraies, où pour un parfum d’ail qu’il m’avait trouvé, il me saisit par le pan de ma chemise et me traîna jusqu’à la mare aux cochons, qui était près de chez nous. Puis il me fit, pour réchauffer mes vêtements, dépouiller nu frissonnant comme je naquis (à male heure, puisque je ne pus mourir, aussitôt que l’accoucheuse m’eut placé dans mon berceau !). Le coquin, avec son coutelas, coupa une houssine longue comme une canne, dont il me fouetta tellement que, j’en peux faire le serment, le sang à gros bouillon jaillissait de mon corps blanc, et faisait changer de couleur et sécher l’herbe de douleur. Ainsi traité, dès ce moment-là, je ne pensais qu’à m’exiler. Quelque temps après l’on recruta une troupe, qui passa par notre bourg ; mon bourreau prit la fuite aussitôt qu’il sentit venir la tempête. Il me sembla alors que la peste m’avait quitté, et de tout le mal passé je ne fis plus de cas que d’un clou.

Traduction de Robert Lafont in Baroques occitans. Anthologie de la poésie en langue d’oc – 1560-1660, CEO-PULM, Université de Montpellier III, 2002, p. 56 et suivantes.

Epistòla a un jove poèta [Note]

Pus doncas que plazut vos a
Rythmes en gascon compauzà
De my vos n’eratz pas estat
En vaganau sollicitat
A prene la causa damnada
De nosta lenga mesprezada ;
Damnada la podetz entene.
Si degun no la vo dehene :
Cadun la leixa e desempara,
Tot lo mon l’apera barbara
E, qu’es causa mas planedera,
Nosauts medix nos truphan d’era.
O praube liatge abuzat,
Digne d’este despaïzat,
Qui leixas per ingratitud
La lenga de la noyritud
Per, quant tot seré plan condat,
Aprene un lengatge hardat ;
E no es conde de l’ajuda
Au pays naturau deguda.
Aqo b’es, a plan tot pensá,
Son pays mau recompensá.
Mès de ma part, jo’bz asseguri
E religiosament vos juri
Que jo ‘scriuré per vehementia,
No’m cararé, n’auré patientia
Deqia qe siam totz acordatz
E d’ua conspiration bandatz
Per l’hono deu pays sostengue
E per sa dignitat mantengue,
No pas d’espazas aguzadas
Ny lansas de sang ahamadas.
On sab prou qe l’arnes luzent
No es de natura plazent,
E qe’u sabem plan maejá
Qui nos ven tarabuseja :
Mès au loc de lansas pontxudas,
Armem-nos de plumas agudas
Per orná lo gascon lengatge,
Perqe om prezique d’atge en atge
La gent, la bera parladora
Com en armas es vencedora.

Poesias gasconas, 1567, in Philippe Gardy, 1997, Histoire et Anthologie de la littérature occitane. L’Âge du baroque, Montpellier, Les Presses du Languedoc, p. 56-57.

Eglòga IV : Herran (débuta)

Las ! Com dromirè jo d’anuèit,
lo pè leugèr, lo vente vuèid ?
Jo’m som vist menjador dispòst
de Jaques Bonòme sens còst.
Jo’m som vist gualhard, apastat
deu ben per autrú conquistat,
amariat, gras e lusent,
e gadau mès qu’au temps present.
Ara la praubetat mesèra,
la malanança e la magrèra,
a hèit de mas cambas husèths
e de mos dus braç calamèths.
Manta espison me guasanhava
mos braç nerviats, quan bandavan
las balèstas sens polejons.
Que mau huèc arda l’arraujós
magistèr, qui m’es cap e causa
que mon còs tan mau s’arrepausa.
Aqueth garroflard caperan
s’aperava monsen Duran,
e non sabè legir ni ‘scríver,
ni plan parlar, ni mès plan víver,
mès damb aquò lo perpitós,
com un gat bòrni despieitós,
per ensenhar nòste logat,
a grands dinèrs èra logat.
Los borsets deus pagès curava
e granas collectas tirava.
Un jorn se vantèc a ma zia
qu’eth hèra doctors en clercia
tots los en.hants de sa crambada,
mes que perdessús la mesada
cadun mustrès onestetat
e li portès de gratuitat
un bon present. Jo li portè
de carnasalada un gròs quartèr
que lo dejòst, quan la minjava,
sus son Breviari talhucava.
Mès per aquò l’untat greishós
èra plus lis, non pas plus doç.
Ans tanlèu que volè parlar
nos hasè de paur tremolar.
Un jorn, dont plan jo m’arrecòrdi,
qu’èra la hèsta de sant Jòrdi,
me mièc a las aubaredas,
aupròp de nòstas pomaredas,
ont, per m’aver sentit a l’alh,
eth m’arrapèc per mon tavalh
e’m tirossèc a la laquèra
deus pòrcs, qui pròp de nosauts èra.
Puish me hèc, per assorelhar
mas vestiduras, despulhar
tan reule nud com jo nascú :
en mala ora, quan non poscú
morir tanpè la mairolèra
m’agoc botat en la cunhèra.
Lo tacanh damb sa mandossana
hèc càser un hosat long coma ua cana,
dont eth me borrelèt taument
que jo pòdi har sagrament
qu’a granas hiòlas de sang
charritava de mon còl blanc
e hasè cambiar de color
e secar l’èrba de dolor.
Atau tractat, despuish en ça
non pensè qu’a horanisar.
Quauque temps apròp s’amassèc
gendarmaria, qui passèc
per nòste borg, e mon borrèu
se n’anèc a huta tanlèu
que sentic vénguer la tempèsta.
Lavetz me semblèc que la pèsta
m’avè leishat, e tot lo mau
passat n’estimè plus un clau.

Graphie normalisée de Robert Lafont in Baroques occitans. Anthologie de la poésie en langue d’oc – 1560-1660, CEO-PULM, Université de Montpellier III, 2002, p. 56 et suivantes.

 

Pey de Garros – L’œuvre

  • 1565 : Les Psaumes de David, viratz en rythme gascoun.
  • 1567 : Poesias gasconas.
  • 2012 : Eglògas, édition établie par Joan Penent, Toulouse, Letras d’òc. Les Eglògas forment une partie des Poesias gasconas.

Pey de Garros – Bibliographie secondaire

  • 1968 : Colloque sur Pey de Garros et son temps, Annales de l’IEO, 4e série, n° 3.
  • 1971 : Robert Lafont et Christian Anatole, Nouvelle Histoire de la littérature occitane, p. 289 et suivantes.
  • 1988 : Jean Penent éditeur, Pey de Garros, Actes du colloque de Lectoure (28, 29, 30 mai 1981), Béziers, CIDO.
  • 1997 : André Berry: L’œuvre de Pey de Garros, poète Gascon du XVIe siècle, thèse soutenue en 1948, éditée par Philippe Gardy et Guy Latry, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux.
  • 1997 : Philippe Gardy, Histoire et Anthologie de la littérature occitane. L’Âge du baroque, Montpellier, Les Presses du Languedoc, p. 56 et suivantes.
  • 1998 : Philippe Gardy, La Leçon de Nérac, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux. On lira le chapitre consacré à Pey de Garros : « Pey de Garros inspirateur de Du Bartas ? », p. 89-108.
  • 1999 : « Lecturas de Pèir de Garròs », Lengas, n° 46, Montpellier, RedOc, Université Paul Valéry.
  • 2001 : Jean-François Courouau, Premiers combats pour la langue occitane. Les manifestes linguistiques occitans. XVIe-XVIIe siècles, Anglet, Atlantica.