Max Allier a été journaliste à Paris avant la guerre de 39-45, puis combattant dans la Résistance. Sa conscience politique s’est formée au maquis. Devenu membre du Parti Communiste, il a ensuite exercé le journalisme en Languedoc.
Comme prosateur, il a publié des nouvelles isolées ou en recueils, Lenga muda / Bouche cousue ; Lunada d’estiu / Lune d’été. Toutes ses proses narratives n’ont pas encore été réunies en volume.
Une sélection de ses poèmes a été éditée en 2003 par les éditions Jorn – auxquelles nous empruntons les grandes lignes de ce qui suit – sous le titre D’amor e de contèsta. Ce recueil regroupe, outre quelques poèmes déjà publiés dans les précédents volumes, les inédits, écrits notamment après Lo Plag (1982). Il a été composé par le poète lui-même pendant les derniers mois de sa vie et devait constituer à ses yeux une somme poétique rassemblant tous ses inédits mais proposant aussi un itinéraire à travers les différentes étapes de son œuvre. La plupart des 44 poèmes sont datés, du plus ancien, le sonnet De tant de jorns / De tant de jours, qui ouvre le recueil (1932, l’année des vingt ans du poète), jusqu’au plus récent, Per J.O.L. / Pour J.O.L. écrit en 1998. Sans suivre un ordre strictement chronologique, Max Allier a préféré mélanger les thèmes et les dates, pour rendre sensible, par la succession imprévisible et apparemment aléatoire des poèmes, l’unité et la diversité foisonnante de la vie. Son verbe poétique se déploie en amples périodes épousant le plus souvent le rythme de l’alexandrin et évoquant, même dans les moments de confidence, la solennité sacrée de l’hymne ou de l’anathème.

« ¡No pasarán! Madrid » by Mikhail Koltsov – Оригинал (1936) сделан фотоаппаратом « ФЭД ». Own work photo. Licensed under Public Domain via Wikimedia Commons.
Max Allier, dans ce recueil comme dans le reste de son œuvre poétique, témoigne d’un besoin viscéral de parole et d’une confiance dans les pouvoirs de cette même parole, s’exprimant sous les espèces de la langue occitane, et plus précisément du parler bas-languedocien (qui est aussi celui de l’écrivain Max Rouquette). Langue immémoriale, d’autant plus noble que méprisée, seule apte selon lui à dire cet espace de mer, d’étangs, de vignes et de garrigues qui s’élève en gradins jusqu’aux montagnes saintes des Cévennes, où s’enracinent toutes les résistances et tous les souvenirs.
La poésie de Max Allier est engagée dans les combats du temps, comme le disent deux de ses vers les plus célèbres (extraits de son premier recueil A la raja dau temps) : « Aicí ma cara / A la raja dau temps l’ai quilhada » [Voici mon visage / levé dans le temps qui fait rage]. Elle associe dans une même célébration les héros de la liberté (combattants occitans de la Croisade albigeoise, Camisards protestants et résistants de la dernière guerre).
C’est aussi de ce recueil que Robert Lafont, dans sa Nouvelle histoire de la littérature occitane, propose un extrait :
« Frairaus descauces et pelhandras/ coma n’autres batián la tèrra granda/ en avent pas res de sieu que sos ponhs. Mas tresaur ufanós tenián tota la vida/ que delargavan a bèls molons/ e son cor que bombava en mitran de son pitre/ baile de l’endevenidor. » [Gueux comme nous les cheveux dans le vent/ ils allaient fraternels sur les routes du temps/ riches de leurs seuls poings./ Mais ils avaient la joie somptueuse de vivre/ qu’ils prodiguaient à pleines mains/ et leur cœur qui tonnait au creux de leur poitrine/ maître des lendemains.]
Mais cette célébration s’accompagne aussi d’un lyrisme amoureux, qui rappelle la fin’amor des troubadours et l’amour fou des surréalistes.
Un troisième thème est celui du pays occitan, ce Bas-Languedoc et ces Cévennes auxquels le lie un attachement sensuel et passionné. Dans ses derniers poèmes, inédits, Max Allier déploie une réflexion inspirée, en forme de bilan, sur son siècle et sur l’avenir de notre espèce. Traversée d’éclats de colère et de visions cosmiques, écrite dans une langue riche et populaire, cette poésie exhale en langue occitane un souffle d’une grande puissance.
J’ai vécu les jours de la honte
J’ai vécu les jours de la honte…
Cependant ce siècle a troué
l’histoire orageuse du monde
d’un front poignant d’humanité.
Des hommes obscurs, nés de l’ombre,
ont dit au crime : voie barrée !
Je me rappelle Barcelone,
l’Espagne en fleurs entre deux mers.
En moi comme un soleil remonte
cet été du Front Populaire.
Madrid, Grenade, La Corogne,
sont des pointes d’or dans ma chair.
J’ai dans mon cœur la Catalogne,
Montjuich, les places dépavées.
Je vois dans un angle de porte
la fille, aux cheveux une rose,
mettre en joue l’ombre qui clignote
au soleil de la liberté.
J’entends le vent. Son chant qui roule
fait se lever les partisans.
Des noms s’écrasent sur la bouche
ainsi que des mûres. J’entends
les rocs qui s’écroulent. Farouche
mon pays cerne le serpent.
Vingt ans… Mais parfois dans le soir
la chanson des fontaines se trouble.
Une ombre, ton ombre Grimau ?
vers nous comme un remords se tourne.
Et loin l’Alhambra, bûcher noir,
brûle longtemps dans la nuit rouge…
Il est dur de se faire un homme.
Il est long le chemin qui va,
dans le tourbillon des atomes,
du singe ancestral à Icare.
On s’épuise à lutter dans l’ombre
pour que demain le jour flamboie !
Hurlant, tout saignant de ses crimes,
notre âge aura pourtant sauvé
l’homme. Sur un monde en gésine
son enfer jette des clartés.
C’est le char du passé qu’il tire
par le chemin des Voies Lactées.
Ai viscut los jorns de vergonha
Ai viscut los jorns de vergonha.
Amb aquò mon temps a traucat
l’istòria entrumida dau monde
morre nut Grèus d’umanitat
d’òmes espelits de las ombras
an dich au mau Non passaràs
Ieu me ramente Barcelona
Espanha en flors de mar en mar
Dins ieu coma un sorelh repofa
l’estiu dau Frente Popular
Madrid Granada las Astórias
son d’espinhas d’aur dins mas carns
T’ai tota en mon còr Catalonha
Montjuich los plans descaladats
e vese au canton d’una androna
la filha Ambé sa risa roja
fai petar l’ombra que s’acorcha
au sorelh de la libertat
L’aura bolega Una auba monta
que fai se levar los faidits
De noms me sagnan sus las bocas
coma d’amoras Tòrne ausir
los ròcs que trestomban Ferotge
chapla lo Dragàs mon país.
Vint ans Mas de còps dins lo suau
las fònts son rajòu se trebola
Una ombra ton ombra Grimau
ensagnosida se i amorra
E d’un vam l’Alhambra aveusat
crema de temps dins la nuòch roja
Saique es de mau se faire un òme
Fai patir lo camin que vai
dins los revolums de l’istòria
de l’òme monina a l’Icar
Es de grèu de luchar de lònga
per la justícia dels pelaus
Bòrni idolant jot tant d’escombres
mon temps aurà pasmens sauvat
l’òme A dapàs de l’embolh monta
dòrs lo rescòntre que se fai
Pinhastre s’agandís son ombra
sul camin que Sant Jaume trai.
Dans le poème que nous publions, Max Allier rapproche deux moments de l’histoire contemporaine de l’Espagne. Dans la strophe 2, c’est l’Espagne républicaine du Frente Popular et ses images de joie, puis la guerre qui éclate, la résistance à la tyrannie franquiste, déjà évoquée dans la première strophe, qui fait écho au slogan républicain « No Pasaran ». Puis, avec le personnage de Grimau, dans la strophe 5, l’auteur fait un bond de 20 ans et nous amène en 1963, lorsque le régime franquiste condamna et exécuta trois militants : Gata, Martinez e Grimau [Note]
Le poème d’Allier a été publié dans un recueil de 1965. Il a été certainement écrit dans l’émotion du moment. Ce poème est un exemple de l’engagement dans le présent de nombreux textes littéraires occitans.
On notera d’importantes différences entre la version française ( par ailleurs ponctuée) et la version occitane (non ponctuée). Les vers ne correspondent pas automatiquement, des termes sont changés, comme « La Corogne » qui devient « Las Astórias»…
Sur la guerre d’Espagne, on pourra se référer au site https://histoiredespagne.wordpress.com/2011/07/28/la-guerre-civile-2/.
Sur la présence de la guerre d’Espagne dans la littérature occitane, on pourra lire : Marie-Jeanne Verny : « L’Espagne dans la littérature occitane contemporaine, anthologie et pistes d’exploitations pédagogiques ». Lenga e País d’òc, 2010, n° 49, CRDP de Montpellier.
Max Allier – Œuvres
- 1951 : A la raja dau temps / À la rigueur du temps, Toulouse, IEO « Messatges ».
- 1965 : Solstici / Solstice, avec cinq dessins originaux de Claire Jallois, Avignon, Aubanel.
- 1975 : Lenga muda / Bouche cousue, Marseille, Éditions la Marseillaise.
- 1978 : « Ai viscut los jorns de vergonha », Clàudia Galibert, disque Escota, mon grand, Ventadorn VS3L26.
- 1982 : Lo Plag / Le Procès, poème épopée de Max Allier, couverture et 10 illustrations originales de Jacques Brianti, éditions Mostra.
- 2003 : http://www.editions-jorn.com/livre-max-allier.htm, anthologie poétique avec une version française de l’auteur, Montpeyroux, Jorn.
Sur l’homme et l’œuvre de Max Allier
- Robert Lafont, Christian Anatole, Nouvelle histoire de la littérature occitane, PUF, 1970, t. II, p. 787-788.
- Interview de Max Allier et de son épouse dans Harry Roderick Kedward, À la recherche du Maquis. La Résistance dans la France du Sud 1942-1944, Cerf, 1999, p. 333-335.
- Voir la présentation de Max Allier sur le site des éditions Jorn : http://www.editions-jorn.com/auteurs-allier.htm et sur La pòrta d’òc : http://www.laportadoc.eu/index.php?option=com_abook&view=author&id=51%3Amax-allier&lang=fr