Larade Bertrand / Larada Bertrand (1581-1635 ? 1637 ?)

Bertrand Larade, La Margalide Gascoue, reprint de l'édition princeps (Toulouse : Colomiès, 1604), Béziers : CIDO, 1979. Collection CIRDÒC.

Bertrand Larade, La Margalide Gascoue, reprint de l’édition princeps (Toulouse : Colomiès, 1604), Béziers : CIDO, 1979.
Collection CIRDÒC.

Bertrand Larade est né à Montrejau dans une famille de notables locaux, syndics et consuls de la ville. Le jeune Commingeois suit à Toulouse des études de droit. Il y publie à 22 ans les 96 sonnets de sa Margalida gascoa [La Marguerite gasconne], composée sur le modèle des Amours de Ronsard, eux-mêmes inspirés du Canzoniere de Pétrarque.

Le recueil chante l’amour malheureux du poète pour une Margalida qui préfère au jeune soupirant passionné un vieux et riche prétendant. Le chant d’une passion idéalisée finit par se muer en violent dépit amoureux. La réalité biographique de cet amour est indécidable, mais Larade parvient à nous convaincre de sa sincérité. Ses sonnets sont d’une rare perfection formelle et d’une grande pureté musicale : le gascon chante littéralement sous sa plume.

Certes beaucoup de sonnets sont démarqués de Ronsard ou des poètes français du XVIe siècle, mais Larade leur donne à tous une touche personnelle. Le poète n’ambitionne rien moins, d’ailleurs, que de surpasser Ronsard en gascon sur son propre terrain. Il ressent bien la démesure de ce projet et se compare lui-même à Icare dans le sonnet liminaire. Comme Icare il risque fort de se brûler les ailes. Ce destin fut sans doute le sien, puisqu’il cesse d’écrire très tôt, à 26 ans, après la publication de trois autres recueils et qu’il retourne, sans doute définitivement, à Montrejau où il meurt célibataire. S’il a su transformer un échec amoureux (à supposer qu’il ait existé) en indéniable réussite poétique, il n’a pu conférer à celle-ci la reconnaissance sociale à laquelle il aspirait.

 


Je ne suis pas Icare…

Je ne suis pas Icare, ni non plus Phaéton,
Pour vouloir entreprendre une haute aventure ;
Rien ne m’a aidé que ma simple nature
À écrire les sonnets que vous verrez en gascon.

Si je savais parler comme Cicéron,
Tout ce que je dirais serait dit avec mesure,
Ou si j’avais comme Ronsard beauoup lu,
Larade surpasserait ce divin Platon.

Mais je veux me contenter de ma muse Gasconne,
Car je lui ai défendu de passer la Garonne ;
Et s’il était possible de le faire, ici, à Montrejau,

Je voudrais que toujours mon livre reste ;
Mais il est décidé à aller souffrir la presse ;
J’ai peur qu’il n’ait le salaire d’Icare.

La Margalida gascoa, sonnet au lecteur, Anglet, Atlantica, p. 18. Traduction Jean-François Courouau.

Icarus jo non soi…

Icarus jo non soi, ni mes lo Faëton,
Per voler entrepréner ua hauta aventura ;
Arren non m’a ‘judat que ma simpla natura,
A ‘scríver los sonets que veiratz en Gascon.

Si jo sabèi parlar atau com Ciceron,
Tot çò que jo dirí, seré dit de mesura,
O s’avè com Ronsard hèita grana lectura,
Larada excellaré aqueth divin Platon.

Mès jo’m vòi contentar de ma musa Gascona,
Car jo l’èi dehenut de passar la Garona ;
E si’s podèva hèr ací en Montrejau

Volerí que tostemps mon libe demorèsse ;
Mès eth ei resolut d’anar sohrir la premsa ;
Jo èi paur d’Icarus qu’eth haça lo jornau.

La Margalida gascoa, sonnet au lecteur, Anglet, Atlantica , p. 19. Normalisation graphique Jean-François Courouau.

Le fanal du ciel…

Le fanal du ciel, de sa tresse dorée,
N’envoie pas ici tant de clarté
Que ne le fait ton œil tout plein de rareté,
Qui éclaire la nuit comme la corne argentée.

La torche de la nuit ne dure pas le jour ;
Celle du jour, la nuit, n’a aucune puissance :
Ton œil est en tout temps réputé pour tel
Que son flambeau en clarté est fort assuré.

Œil, tu n’es pas soleil, tu es plus que soleil,
Le soleil, la nuit, ne montre pas son œil.
Œil, tu n’est pas non plus étoile ni lune.

La lune et les astres ne rayonnent que la nuit,
Toi, le jour et la nuit, tu rayonnes, œil ; toute la nuit,
Tu es lune et soleil, bel œil de couleur bleue.

La Margalida gascoa, sonnet 38, Anglet, Atlantica, p. 60. Traduction Jean-François Courouau.

La lampasa dau cèu…

La lampasa dau cèu, de sa tressa daurada,
N’envia pas ací tanta de claretat
Coma hè lo ton uelh tot plen de raretat :
Eth esclareish la neit com la còrna argentada.

La tòrcha de la neit lo dia n’a durada ;
La deu dia la neit n’a nada propietat ;
Ton uelh ei en tot temps per tau arreputat
Que sa halha en claror ei fòrt assegurada.

Uelh, tu n’ès pas sorelh, tu ès mes que sorelh,
Lo sorelh en la neit non mòstra pas son uelh.
Uelh, tu n’es pas tanpauc ni estela ni lua,

La lua e los lugrans n’arrajan que la neit.
Tu lo dia e la neit arrajas, uelh ; tot neit,
Tu ès lua e sorelh, bèth uelh de color blua.

La Margalida gascoa, sonnet 38,  Anglet, Atlantica, p. 61. Normalisation graphique Jean François Courouau.


Bertrand Larade – L’œuvre


  • 1604 : La Margalide gascoue, Toulouse, Ramon Colomiez.
  • 1604 : Meslanges de diberses poesies, Toulouse, Colomiez.
  • 1607 : La Muse piranese, Toulouse, Colomiez.
  • 1607 : La Muse Gascoue, Toulouse, Colomiez.
  • 1999 : La Margalide gascoue et Meslanges (1604), édition critique par Jean-François Courouau, Toulouse, Section Française de l’Association Internationale d’Études Occitanes.
  • 2000 : La Margalida Gascoa / La Margalide gascoue. Présentation et traduction [d’un choix de poèmes] par Jean-François Courouau, Anglet, Atlantica, collection Occitanas / Occitanes.

Sur – et autour de – Bertrand Larade


  • 1990 : Philippe Gardy, « Le sonnet occitan de l’époque baroque : entre identité linguistique et production esthétique », Revue des langues romanes, XCIV/2, p. 201-217.
  • 1990 : Philippe Gardy dir., dossier spécial « Sonnets et sonnettistes occitans (1550-1630) », Revue des langues romanes, XCIV/2.
  • 2001 : Philippe Gardy, « Autour du sonnet. Écriture en occitan et genres littéraires (1550-1650) », Bibliothèque de l’École des Chartes, 159/1, janvier-juin 2001, p. 53-68.
  • 2002 : Jean-François Courouau, « Lecturas de La Margalide gascoue », Tèxtes occitans, 6.
  • 2003 : Jean-François Courouau, « Apollon, Saturne et l’artisan ou le sacre du poète Bertrand Larade », XVIIe siècle, 220, p. 527-546.
  • 2004 : Jean-François Courouau, « Les chants royaux en occitan gascon de Bertrand Larade (1607) », Revue des Langues Romanes, CVIII/1, p. 25-56.
  • 2005 : Jean-François Courouau, « 1604-2004 : Ombres et clairs-obscurs de Bertrand Larade », Revue de Comminges, CXXI/2, p. 189-216. Contient des éléments biographiques.
  • 2014 : Jean-François Courouau, « Une tragédie, deux pastorales : l’œuvre dramatique de Bertrand Larade (1607) », in Jean-François Courouau / François Pic / Claire Torreilles (éds), Amb un fil d’amistat. Mélanges offerts à Philippe Gardy, Toulouse, Centre d’Étude de la Littérature Occitane, p. 383-401.