Despuech Isaac / Despuèg Isaac (1583-1642)


Né dans la bonne société montpelliéraine, fils protestant d’un prévôt de la monnaie, Isaac Despuech épouse Françoise Descanavier, petite-fille catholique d’un gouverneur de la ville. Son identité a longtemps fait l’objet de méprises de la part des érudits. Son surnom de « le Sage » étant pris pour un patronyme, on a cru identifier en lui un David ou Daniel Lesage. Une autre méprise touche son caractère, le faisant passer pour un pilier de taverne débauché. La réalité est tout autre. Isaac Despuech est un homme bien intégré dans son milieu de notables urbains, même s’il ne semble pas avoir exercé de charges publiques, mais c’est un poète libertin. Libertin, il l’est par sa tolérance et son scepticisme religieux, voire son possible athéisme, passant d’une confession à l’autre avec désinvolture et se qualifiant lui-même d’escambarlat (à califourchon entre deux religions). Il l’est aussi par son naturalisme exaltant le corps et le désir sexuel jusqu’à la plus franche obscénité, par son scepticisme moral dénonçant l’hypocrisie des amours éthérées et par sa satire du pétrarquisme ou du discours précieux, qu’il se plaît à parodier. Sa poésie carnavalesque rappelle l’univers rabelaisien : « L’embarquement, les conquêtes et l’heureux retour de Caramentrant » s’inspire des voyages de Pantagruel. Ses audaces de pensée et d’expression peuvent se donner libre cours derrière le double écran de l’écriture occitane et du masque du Sage (ou du Fou, par antiphrase).

Isaac Despuech, Les folies du sieur Le Sage de Montpellier, A Amsterdam : chez Daniel Pain, 1700. Collection SCD Toulouse 1. Source : http://tolosana.univ-toulouse.fr/notice/188110127

Isaac Despuech, Les folies du sieur Le Sage de Montpellier, A Amsterdam : chez Daniel Pain, 1700.
Collection SCD Toulouse 1.
Source : http://tolosana.univ-toulouse.fr/notice/188110127

« Isaac Despuech Sage dialog » par Isaac Despuech sage mort en 1642

« Isaac Despuech Sage dialog » par Isaac Despuech sage mort en 1642 — gallica.bnf.fr Despuech « Sage », Isaac. Las Foulies dau Sage de Mounpelie.- Reuistos e augmentados de diuersos piessos de l’autur. Embé son Testamen obro tant desirado. 1650 [Disponible en ligne sur le site de Médiathèques de Montpellier Agglomération]. Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons.



Traduction

Stances, à Monseigneur de Chastillon

Si nous voyons approcher le Roi
Et qu’il vienne comme l’on croit,
Pour peu que son armée se montre,
Je veux me faire enseigner,
Puisque je sais me signer,
Le Credo et le Pater noster.

À un saint je veux me vouer,
Plutôt que de me faire tuer
Pour ne pas prendre de l’eau bénite.
Je préfère dans un bénitier
Plonger la tête la première
Plutôt que d’attendre une telle journée.

Dévot au-devant d’un autel
Là je veux faire pitié
En gémissant chaque parole.
Il vaut mieux faire de cette façon
Que d’être mis en limaçon
Dans la coquille d’un escargot.

L’un dit qu’il veut mourir zélé,
L’autre qu’il veut être brûlé
Bien qu’on en ait perdu l’usage :
Et moi je confesse tout à plat
Qu’il vaut mieux être assis entre deux chaises
Et vivre un peu plus longtemps.

Traduction de Jean-Claude Forêt

Version normalisée

Stances, a Monsenhor de Chastillon

Se vesèm aprochar lo Rei
e que venga coma l’òm crei,
per pauc que l’armada se mòstre,
ieu me vòle faire ensenhar
puòi que ieu me sabe senhar
lo Credo e mai lo Pater nòstre.

Emb un sant me vòle voar,
que de me voler far tuar
per non prene d’aigasenhada,
b’aime mai dins un benitièr
li cabussar lo cap primièr
que d’esperar tala jornada.

Devòt au davant d’un autat,
aquí vòle faire pietat
en gemissent cada paraula.
Vau ben mai far de la faiçon
que d’èstre mes en limaçon
dins lo clòsc d’una cagaraula.

L’un ditz que vòu morir zelat,
l’autre que vòu èstre brutlat,
ben que se’n siá perdut l’usatge.
E ieu confèsse tot a plat
que vau mai èstre escambarlat
e viure un pauc mai davantatge.

Graphie normalisée de Robert Lafont, Baroques occitans, 2e édition, CEO-Université de Montpellier III, 2002, p. 82.

Version originale

Stances, a Mounseignou de Chastillon

Se vesen aproucha lou Rei
Et que vengo coumo l’on crei,
Per pauc que l’armada se mostre
Yeu me vole faire ensegna,
Pioy que ieu me sabe segna,
Lou Credo, amai lou Pater nostre.

Emb’un Sanct me vole voüa,
Que de me voulé fa tua,
Per noun prene d’aigo segnado,
B’aime mai dins un benitié
L’y cabussa lou cap premié,
Que d’espera talo journado.

Devot au davan d’uno autat,
Aqui vole faire pietat,
En gemissen cado paraulo.
Vau bé mai fa de la faissou
Que d’estre més en limassou,
Dins lou clos d’uno cagaraulo.

L’un dis que vou mouri zelat,
L’autre que vou estre brulat
Ben que s’en sié perdut l’usage :
E ieu confesse tout a plat
Que vau mai estre escambarlat
Et vieure un pau mai davantage.

Édition Aubert des Mesnils, 1874, p. 109-110. Réédition en fac-similé par Phénix Éditions, Ivry, 2000, dans la collection Bibliothèque virtuelle du Languedoc.

Despuech Isaac – Stances, a Mounseignou de Chastillon | 1:02

Sonet (Traduction)

Ne verrai-je jamais s’élever l’étendard
Ni battre le tambour, ni sonner la trompette,
Et ne me trouverai-je, à la main l’escopette,
Dans quelque exécution pour jouer du pétard ?

Quand même on me devrait percer de part en part,
Et cuire dans la poêle en façon d’omelette,
Quand on me grillerait comme on fait des caillettes,
Moi, j’essaierai pourtant un acte de César.

Tout doux, tout doux, la paix, laissons au loin les armes !
À quoi servent les peurs, les effrois, les alarmes ?
Et puisque nous voyons nous donner tant d’assauts,

Si nous avions tous, comme il se doit, bonne vue,
Tant le bon huguenot que le bon papiste,
Nous nous ririons de tout et ferions pets et sauts.

Traduction JCF.

Sonet (Version normalisée)

Non veirai ieu jamai auborar l’estandard,
ni batre lo tambor, ni sonar la trompeta,
non me trobarai ieu a la man l’escopeta
en quauqua execucion que jògue lo petard ?

Quand meme me deurián persar de part en part
e còire a la sartan en faiçon d’aumeleta,
quand me grasilharián coma fan la meleta,
si essaiarai ieu un acte de Cesar.

Tot bèu, la patz, la patz, laissem ailai las armas !
Que servisson las paurs, los esfrais, las alarmas ?
E per çò que vesèm nos donar tant d’assauts,

que si totes aviam coma se deu la vista,
tant lo bon uganaud coma lo bon papista,
nos mocariam de tot e fariam pets e sauts.

Graphie normalisée JCF.

Sonet (Version originale)

Noun veray yeu jamay arboura l’estandart
Ne batre lou tambour, ni souna la troumpeto,
Noun me trouvaray yeu, a la man l’escoupeto,
En cauquo executioun que jogue lou petart ?

Quand mesme me deurien perça de part en part
Et coyre a la sartan en façoun d’aumeletto,
Quand me grasillarien coumo fan la meletto,
Si essayaray yeu un acte de Caesart.

Tou beu, la pas, la pas, laissen ailay las armos !
Que servissoun las pous, lous esfrais, las alarmos ?
Et parcé que vesen nous douna tant d’assaus,

Que si toutes avian coumo se deu la visto,
Tan lou boun uganau coumo lou bon papisto,
Nous mouquarian de tout et farian pets et sauts.

Les Folies du sieur Le Sage, Montpellier, 1636.



Isaac Despuech – L’œuvre

  • 1636 : Las Folié dau Sage de Mounpelié, seule édition connue du vivant de l’auteur.
  • 1650 : Las Foulies dau Sage de Mounpelie. Reuistos e augmentados de diuersos piessos de l’autur. Embé son Testamen obro tant desirado, Édition Roudil.[Disponible en ligne sur le site des Médiathèques de Montpellier Agglomération].
  • 1874 : Les Folies du Sieur Le Sage (Las Foulies dau Sage de Mounpelie) Reproduction de l’édition de 1700, collationnée sur les textes de 1636, 1650 et 1725 et augmentée d’une préface par Aubert des Ménils, Montpellier, C. Coulet, libraire-éditeur de la Société des Bibliophiles Languedociens. Réédition en fac-similé par Phénix Éditions, Ivry, 2000, dans la collection Bibliothèque virtuelle du Languedoc.

Isaac Despuech – Édition critique

  • 2007 : Isaac Despuech, « Les Folies Du Sieur Le Sage » (1636), édition critique par Benoit Vieu, thèse de doctorat sous la direction de Philippe Gardy , Montpellier, Université Paul-Valéry, 2007. Identifiant BU : 07MON30051. Contient une bibliographie en pages 577-585.

Sur Isaac Despuech

  • 1985 : Marcel Barral, Montpellier d’Isaac Despuech, « le Sage », à l’abbé Favre:   Les influences d’un milieu urbain provincial sur la production du texte littéraire occitan et français, aux XVII° et XVIII° siècles, Montpellier, Espace et texte occitans, Revue des Langues Romanes, 1985, LXXXIX, N°1, p. 73-91.
  • 1966 : Christian Anatole, « Isaac Despuech-Sage, un libertin », Annales de l’IEO, IV, 2, p. 245-257.