Bec Serge / Bec Sèrgi (1933)

Serge Bec / Sèrgi Bec

Serge Bec / Sèrgi Bec
© Photo : Georges Souche

Né en pays d’Apt, dans une famille de minotiers, Serge Bec est avant tout poète, auteur de près de vingt recueils. Son œuvre est ivre de poésie et d’amour et cet amour a deux objets. Il est d’abord et dès le début l’amour pour une femme unique, Anna/Anne, inspiratrice et destinataire de toute l’œuvre, à l’instar de la domna des troubadours et de la Laure de Pétrarque. Il est aussi l’amour pour un pays, la « valenga calavona » (la vallée du Calavon) et la montagne du Lubéron, un pays auquel il s’identifie complètement, comme en témoigne dès son titre le recueil de 1980, Siéu un païs / Je suis un pays. Ainsi se dessine « une triade symbiotique » formée de trois instances : ieu du poète, tu de la femme aimée, eu du pays. Ces trois personnes, qui sont aussi des personnes grammaticales, échangent leurs attributs dans d’incessantes métamorphoses où la métaphore s’abolit par indistinction des termes propre et figuré. La femme se végétalise en pays, le pays s’érotise en femme, le poète lui-même peut dire « Je suis un pays ». L’ivresse provient de cette mécanique des fluides émotionnels en perpétuel mouvement, qui nous entraîne dans son tourbillon et qui se met en place dès les premiers volumes. Cette exaltation peut provenir de deux sources au moins : le jòi troubadouresque et l’amour fou surréaliste. Comme les poètes de sa génération, Serge Bec est amené vers la fin’amor et le trobar à la fois par l’occitanisme, qui en fait l’un de ses fondements historiques, et par le surréalisme, qui lui en suggère une interprétation moderniste.

Mais Serge Bec sait élargir son inspiration à l’humanité toute entière, dans des poèmes où il évoque les guerres et les souffrances de son temps, comme par exemple dans le recueil Memòria de la carn / Mémoire de la chair (1960), évoquant la guerre d’Algérie, ou Sason de guèrra / Saison de guerre (1991), écrit pendant la guerre du Golfe, ou encore Balada per Lili Fong (1968), poème faisant allusion à la guerre du Vietnam.


« Sur les fleurs de ta chair… »
Pour ANNE

II

Bien longtemps j’ai cherché
la chaleur profonde de ta chair
bien longtemps j’ai cherché
tes sourires aux pieds des vagues de la mer
où je voyais sans cesse
les mouvements bleus de tes jambes

j’ai appelé la mer par ton nom
sur les pieds elle m’a envoyé
un morceau d’algue à moitié vive

j’ai lapé le vin qui rend l’hésitation
des premiers pas
et je me suis pesé
dans la balance éternelle

soudain je t’ai retenue
mais ma main saoule et féroce
a sous la nuit qui cristallisait
déchiré ton beau corps adorable

un pétale de fleur
peut-être un pétale de chair
peut-être une algue de mer
me reste dans la main

alors
je me suis jeté sur les lumières
et j’ai crié j’ai crié
ta nouveauté

Miegterrana, IEO « Messatges », 1957, p. 54, repris dins Òbra poetica, Montpeyroux, Jorn, p. 154. Traduction de l’auteur.

« Sus lei flors de ta carn… »
Per ANA

II

Que de temps ai cercat
la calor fonsa de ta carn
que de temps ai cercat
tei sorrire’ ai pès deis ersas de la mar
onte vesiáu sensa relambi
lo cabridament blau de tei cambas

ai sonat la mar de ton nom
sus mei pès descauç m’a mandat
un morcèu d’auga a mitat viva

ai chimat lo vin que rend la chancèla
dei primiers pas
e me siáu pesat dins l’archimbèla
eternala

e subran t’ai retenguda
mai ma man empegada e feruna
a sota la nuech que cristallizava
estraçat ton bèu còs adorable

un fulhon de flor
benlèu un fulhon de carn
benlèu una auga de mar
me sobra dins la man

adonc
me siáu bandit sus lei lumes
e ai cridat cridat
ta novetat

Miegterrana, IEO « Messatges », 1957, p. 55, repris dins Òbra poetica, Montpeyroux, Jorn, p. 155.

Serge Bec – L’œuvre

  • 1954 : Li Graio Negro [Les Corneilles noires], avec Pierre Pessemesse et Max Fayet, s.l., Les Presses Universelles.
  • 1957 : Cant de l’Èstre fòu [Chants de l’Être fou], L’Ase Negre.
  • 1957 : Miegterrana / Méditerranée, Toulouse, IEO « Messatges ».
  • 1960 : Memòria de la carn, seguit d’Auba / Mémoire de la chair, suivi d’Aube, Toulouse, IEO « Messatges ».
  • 1968 : Galina blanca e marrit can [Poule blanche et Chien méchant], Ardouane, Quatre vertats.
  • 1978 : Cronicas dau rèire-jorn / Chroniques à contre-jour, Energas, Vent Terral.
  • 1980 : Siéu un païs, emé en biais de prefàci : Letro duberto is Oucitanisto / Je suis un pays, avec en guise de préface : Lettre ouverte aux Occitanistes, Aix-en-Provence, Édisud.
  • 1985 : Cants de nòstrei pòbles encabestrats / Chants de nos peuples enchevêtrés, Energas, Vent Terral.
  • 1989 : Pouèmo de la Clarenciero I / Poèmes de la Clarencière, Apt, Ma Provence.
  • 1991 : Sesoun de guerro / Sason de guèrra / Saison de guerre, Les Cahiers de Garlaban.
  • 1993 : Tres balado / Trois ballades, illustrations de René Métayer, Aix-en-Provence, Édisud.
  • 1994 : La Nuech fendasclada / La Nuit pourfendue, s.l., À chemise ouverte,1998.

    Pouèmo de la Clarenciero II / Poèmes de la Clarencière II, Berre-l’Étang, L’Astrado prouvençalo.

  • 2002 : Suito pèr uno eternita / Suite pour une éternité, préface de Raymond Jean, traduction allemande de Rüdiger Fischer, Éditions en Forêt/Verlag im Wald.
  • 2006 : Saume dins lou vènt / Psaumes dans le vent, Morières, La Cardère.
  • 2008 : Femna mon Amor / Femme mon Amour, Toulouse, Letras d’òc.
  • 2010 : Cèu negre d’una suprèmo lus / Ciel noir d’une suprême lumière, Paris, L’Aucèu libre.

Sur Serge Bec

  • 1994 : Jean-Luc Pouliquen, Entre Gascogne & Provence, itinéraire en lettres d’oc. Entretien avec les poètes serge bec et Bernard Manciet, Aix-en-Provence, Édisud.
  • 2011 : Serge Bec, un poète provençal dans le siècle (textes réunis par Marie-Jeanne Verny), Revue des Langues Romanes, tome 115, année 2011, n°2, Montpellier, Presses Universitaires de la Méditerranée. Articles de Philippe Martel, Marie-Jeanne Verny, Philippe Gardy, Jean-Claude Forêt, Paul Peyre, Jean-Luc Pouliquen.
  • 2013 : Serge Bec, un troubadour contemporain, dossier réuni par Claude Lapeyre et Jean-Bernard Plantevin, Pernes-les-Fontaines, Les Carnets du Ventour n° 79. Articles de Claude Lapeyre, Jean-Bernard Plantevin, Claude Agnel, Marc Dumas, Jean-Claude Forêt, Carina Istre, Pierre Pessemesse, Jacques Galas, Roger Colozzi, Paul Peyre, Bernard Mondon, Bruno Deleu.