
« Lo gentilome gascon » par Guilhem Ader — gallica.bnf.fr, Lou gentilhome gascoun 1610. Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons.
Né à Gimont dans le bas Comminges, Guillaume Ader, après des études à Toulouse, fut d’abord médecin, notamment dans l’armée du duc de Joyeuse.
Il nous a laissé trois traités médicaux, dont un en latin sur la peste, et deux œuvres en gascon. Lo Catonet gascon (Le petit Caton, c’est-à-dire le petit censeur) est un recueil de cent maximes morales rimées sous forme de quatrains de décasyllabes.
Mais c’est surtout par Lo Gentilòme gascon que Guillaume Ader est connu, poème épique paru en 1610, l’année de la mort de son royal héros. En 2690 alexandrins répartis en quatre chants, le poète évoque l’irrésistible ascension du protagoniste non autrement nommé que « le gentilhomme gascon », où l’on reconnaît, bien sûr, Henri III de Navarre devenu Henri IV de France. Aucun nom de personnage ni de lieu, excepté la Gascogne, aucune allusion à la nature de la guerre qui sert de toile de fond à ces exploits et d’ascenseur pour le trône à ce « gladiateur maniaque », comme l’appelle Robert Lafont. La Gascogne, une Gascogne abstraite et générique, semble la seule motivation du gentilhomme. Ce poème occulte donc toute réalité historique, géographique, politique et religieuse, pour mieux servir un patriotisme gascon exacerbé. Il est enlevé d’un bout à l’autre par un formidable enthousiasme poétique, reposant sur l’accumulation verbale, l’énumération, voire l’onomatopée. Ainsi les descriptions de bataille miment stylistiquement leur objet et présentent une syntaxe de plus en plus sommaire, jusqu’à juxtaposer simplement les bruits et les cris. Par sa surornementation rhétorique, son grossissement épique et son « agitation linguistique » (Fausta Garavini), Lo Gentilòme gascon est le parangon de l’esthétique baroque. Mais cette œuvre fut publiée au plus mauvais moment, quand la mort d’Henri IV provoqua par réaction une dégasconisation de la cour, et elle fut oubliée jusqu’à sa redécouverte au XIXe siècle.
Embuscade
Il selle et bride en tapinois. Sans doute, vous avez vu la mine du chasseur à l’affût, qui guette, caché, l’arbalète armée et prête, l’œil ouvert, le bras tendu, les pas du lapin qui sort au frais : tel le chevalier s’aventure à la nuit. Tout oreille, tout yeux, il s’embusque à l’endroit où il croit pouvoir jouer la partie à son avantage, montrer à l’ennemi, à la fraîcheur du matin, une blanche camisade, et le surprendre habilement sur le grand chemin.
Le roussin hennissant commence à gratter la terre. Il avertit l’ennemi et lui donne l’alarme. « Qui vive ? Qui va là ? Donne, donne ! Arme, arme, arme ! » Il faut alors se décider à lâcher le butin, de par Dieu et sa mère, ou à revenir sur ses pas. « Frappe, touche, attaque, allons la camisade, passe, repasse, donne, que la pistoletade donne, que l’épée morde, je donne, je donne, dit le Gascon, que ces gens apprennent en quel pays ils sont. Tue, donne, au chic-chac, pèle, repèle encore, tire, je donne au défaut, à travers la visière. »
L’un meurt à cheval, l’autre est désarçonné ; celui-là, les rênes brisées, a fui épouvanté ; celui-ci est blessé à la tête, cet autre aux bras. Celui-ci crie : « Mon Dieu ! », celui-là presse la pas. Fuis, pied de lièvre ! Adieu, pieds agiles : Fuir à grande course est toujours permis quand on a peur. Ainsi, à la clarté des dernières étoiles, avant que le soleil n’amène le jour, le cavalier gascon moissonne et lie dès le matin, s’aventurant toujours, en tous lieux, nuit et jour, à cheval ou à pied, à toutes armes, main de lion pour les coups, œil de chat pour l’alarme.
Emboscada
Sèra e brida tot caut ; s’avètz vista la mina
Deu qu’ei a la demòra e qu’escota, esconut,
Treit afustat e prèst, uèlh dobèrt, braç tenut,
Quan passa l’arruaut e sòrte a la hrescura,
Atau lo cavalier sus la nuèit s’aventura.
Tot aurelhas e uèlhs, s’embosca au milhor lòc
E dont pensa a plaser de manejar lo jòc,
Her véser a l’enemic, sus la hresca matiada,
Coma arròsa de mai, ua blanca camisada,
E sus lo gran camin finaments l’atrapar.
L’arrocin enilhant comença de grapar,
Entèsta l’enemic e lo balha l’alarma.
« Qui vive ? Qui velà ? Dona ! Dona ! Arma, arma, arma ! »
Ací que cau pensar de leishar lo butin,
De par Dius e sa mair, o virar lo camin.
« Atruca, entruca, ataca, ane la camisada !
Passa, repassa, dau, torne la pistolada,
Chique lo cotelàs, dau, dau, ditz lo Gascon,
Sàpian aquestas gents en quina tèrra son.
Tua, dona au chic-chac, pèla, repèla encoèra,
Tira, dau au defaut, a través la visièra ! »
L’un morish suu chival, l’aute ei desarçonat,
Aqueth, renas copats, d’augida n’ei anat.
Aceth a ‘n pic suu cap, l’aute l’a sus los braces.
Aqueth crida : « Mon Diu ! » Aqueth coeita los passes.
Ahuta, pè de lèbe, adiu, cama-agusat :
Bèth húger dab la paur n’ei jamés devesat.
Atau dab lo lugram, suu matin, sèga e lia,
Davant que lo sorelh venga esclargir lo dia,
Lo cavalier gascon, aventurat totjorn
En tota tèrra e lòc, siá de nuèit, siá de jorn,
A chival o pieton, en tota sòrta d’arma,
Man de lion aus còps, uèlh de gat a l’alarma.
Guillaume Ader – Œuvres
- Lo Catonet gascon (graphie originale : Lou Catounet gascoun).
- 1611 : Ader Guillaune, Lou Catounet gascoun, Tolose [Toulouse], Boude. Disponible en ligne sur le site gallica.bnf.fr
- 1612 : Ader Guillaume, Lou Catounet gascon, Toulouse, Colomiez. Disponible en ligne sur le site gallica.bnf.fr
- 1628 : Ader Gullaume, Lou Catounet gascoun, Toulouse, Colomiez. Disponible en ligne sur le site gallica.bnf.fr
- 1865 : Ader Guillaume, Lou Catounet gascoun, Bordeau, Lafargue. Disponible en ligne sur le site gallica.bnf.fr
- 2008 : Guilhèm Ader, Lo Catonet gascon. Ortès [Orthez] : Per Noste.
– Lo Gentilòme gascon (graphie originale : Lou Gentilome gascoun) - 1610 : Ader, Guillem, Lou Gentilome gascoun, é lous heits de gouerre deu gran é pouderous Henric Gascoun, rey de France é de Naouarre, Toulouse, Ramond Colomiés.[Colomiez]. Disponible en ligne sur le site gallica.bnf.fr
- 1904 : Poésies de Guillaume Ader, publiées avec notice, traduction et notes. I. Lou Gentilome gascoun par A. Vignaux. II. Lou Catounet gascoun par A. Jeanroy, Toulouse, Privat. Édition disponible en ligne sur google.com
- 2010 : Guilhèm Ader, Lo Gentilòme gascon, Ortès [Orthez], Per Noste, [1610].
Guillaume Ader – Œuvres médicales
- 1620 : Guillelmi Ader medici Enarrationes, De aegrotis et morbis in Evangelio. Opus in miraculorum Christi Domini amplitudinem ecclesiae christianae elimatum. [Par Guillaume Ader médecin, Récits sur les malades et les maladies dans l’Évangile…], Toulouse, Colomiez. Édition disponible en ligne sur le site de l’Université de Toulouse
- 1628 : De Pestis cognitione et remediis… [De la connaissance de la Peste et de ses remèdes…] De la méthode de consulter les maladies chirurgicales, Toulouse, Colomiez.
- 1628 : De la méthode de consulter les maladies chirurgicales, Paris, Cardin Besongne.
Critique de Guillaume Ader
- 1992 : Philippe GARDY éd. : Guilhem Ader (1567?-1638). Actes du colloque de Lombez (21-22 septembre 1991), Béziers, Centre Internacional de Documentacion Occitana (CIDO).