Arbaud (Joseph d’) / Arbaud (Jóusè d’) (1874-1950)

 Joseph d’Arbaud / Jóusè d’Arbaud

« Joseph d’Arbaud manadier » par Unknown early XXe — Scan book La Camargue. Sous licence Domaine public via Wikimedia Commons.

Joseph d’Arbaud est né à Meyrargues (Bouches-du-Rhône), d’une mère elle-même félibresse. « Par ses dates biographiques (1872-1950) et par sa thématique, il appartient à la génération des modernistes avignonnais, dont il est le plus grand », dit Robert Lafont dans sa Nouvelle Histoire de la littérature occitane. Il abandonne le confort de la vie aixoise pour se faire manadier et gardian au Mas du Radeau, à l’instar de son cousin, le baron Folco de Baroncelli-Javon. Mais la tuberculose l’oblige à renoncer à sa vie camarguaise. Il est l’auteur de deux grands recueils de poésie : Li Cant palustre, écrits en 1901, mais publiés en 1951, et Lou Lausié d’Arle (1913). Il est aussi un grand prosateur, avec ses nouvelles et son chef-d’œuvre romanesque, La Bèstio dóu Vacarés (1926), texte fondateur de la prose occitane moderne, écrit dans une langue très sûre.

« D’Arbaud, dit encore Lafont, sera avant tout un poète de forme classique, aux vers admirablement faits, à la musique sûre. Il y enferme sa tristesse contenue. » (Nouvelle Histoire de la littérature occitane, p. 663.)

 

 


La prière du gardeur de bêtes

J’ai gardé tout le jour en préservant les vignes,
je suis las. La noire nuit descend sur la mer.
En sifflant mon bétail, je sens le goût amer
du vent d’ouest qui a chanté tout le jour sur mes lèvres.

Tellement m’a terrassé le lourd soleil
qu’à midi, étendu, je dormais près d’une salicorne ;
quelque temps qu’envoie Dieu, je ne suis, dans la grande plaine,
qu’une plante de chair qui boit le sel.

Puisqu’un jour de plus a passé sur ma tête,
je vais parquer mes taureaux. Garde-moi pour demain
la santé de mon corps, ô mon Dieu, et le pain
et le vin pur qui fait chanter le cœur en fête.

Préserve le bétail de l’averse froide et de la neige,
donne-nous de l’herbe pour soutenir les bêtes faibles,
de l’eau pour abreuver les juments et les vaches,
et que le travail jamais ne me soit lourd.

Puis, mon Dieu, envoie-moi la passion du bétail
qui attache le gardeur de bêtes à son troupeau ;
préserve-moi toujours de la fièvre et du mal
qui pousse les gens des mas vers les villes mauvaises.

Je vois les cornes de la lune entre les pins ;
les taureaux rassasiés s’échelonnent le long de la sente,
et moi, dès souper, je dormirai dans la paille,
car l’aube, en cette saison, blanchit de bon matin.

Li Cant palustre, Horizons de France, 1951, p. 88. Traduction de l’auteur.
Mais à peine, pour la seconde fois, avais-je fini de crier, que je sentis mes cheveux se dresser sous mon chaperon, une sueur de glace ruisseler dans mon échine, et je dus saisir à pleine main une poignée de crinière, tant que je me vis en train de défaillir. Car la tête qui se tournait avait une face humaine.
Malgré mon bouleversement, je détaillais fort bien des traits vigoureux, ravinés de misère et de vieillesse et les yeux farouches où brûlait une flamme triste que mon regard arrivait à peine à supporter. Je me rappelle ces détails que j’aperçus alors certainement d’un seul coup et dont mon angoisse se trouva accrue.
Je n’avais, jusqu’à ce jour, rien éprouvé de semblable dans ma vie, j’en suis bien certain.
Mais ceci était encore peu de chose. Je sentis tout à coup comme un souffle d’abomination haleiner sur ma figure et je me trouvai sur mes étriers dans un grand sursaut de détestation et d’horreur, car je venais d’apercevoir, plantées de chaque côté du large front, dominant la face terreuse, deux cornes, oui, deux cornes, l’une rompue misérablement en son milieu, et l’autre enroulée à demi dans une volute, toutes deux rugueuses et souillées de fange et pareilles, sans doute, à celles du bouc nocturne en l’honneur de qui, dit-on, se célèbrent les messes immondes dans le sabbat. Sans réfléchir, en un élan de salut, j’avais levé le bras et tracé dans l’air un large signe de croix. En même temps, je prononçais les paroles de l’exorcisme, tout comme je l’avais entendu faire à mon oncle le chanoine, un jour que sur le corps d’une femme possédée il conjurait les mauvais esprits au seuil de l’église de la Major.
– Recede… immundissime. Imperat tibi Deus Pater… et Filius… et Spiritus Sanctus !…

La Bête du Vaccarès, Grasset « Les Cahiers Rouges », p. 78-80. Traduction de l’auteur.

La preguiero dóu gardo-bèstio

Ai garda tout lou jour en aparant li souco,
Siéu las. La negro niue davalo sus la mar.
En siblant moun bestiau, taste lou goust amar
Dóu vènt-larg qu’a canta tout lou jour sus mi bouco.

Talamen m’a ribla lou soulèu ensucant,
Qu’à miejour, espandi, dourmiéu long d’uno engano ;
Que tèms que mande Diéu, siéu pas, dins la grand plano,
Qu’uno mato de car e poumpe lou salanc.

D’abord qu’un jour de mai a passa sus ma tèsto,
Vau embarra mi biòu. Gardo-me, pèr deman,
La santa de moun cors, o moun Diéu, e lou pan
E lou vin pur que fai canta lou cor en fèsto.

Paro lou capitau dóu giscle e de la nèu,
Baio-nous d’erbo pèr mantène la curaio,
D’aigo pèr abéura li rosso e la vacaio
E que lou travaia jamai me fugue grèu.

Pièi, moun Diéu, mando-me la fe de la bouvino
Que mantèn lou gardaire alentour dóu cabau ;
Aparo-me toustèms de la fèbre e dóu mau
Que buto li masié vers li vilo gourrino.

Vese la luno que banejo entre li pin ;
Li biòu assadoula s’alongon dins la draio,
E iéu, entre soupa, dourmirai dins la paio,
Que l’aubo, d’aquest tèms, blanquejo proun matin.

Li Cant palustre, Horizons de France, 1951, p. 88.
Mai, tant-lèu, en segoundo, acabave de crida, que sentiguère moun péu s’auboura dins moun capeiroun, uno susour de gèu regoulè dins moun esquino e fuguère fourça d’aganta à plen uno pougnado de creniero, talamen me veguère à-mand d’estavani. Car la tèsto, en se revirant, fasié vèire un carage d’ome.
Tant desvaria que me sentiguèsse, alucave pèr lou menu l’entre-carage garru, recava pèr la misèri emai lou vieiounge e lis iue feroun ount cremavo uno flamour morno que, tout-à-peno, davans ma visto, s’arrivave à l’afrounta. Me repasse, aro, lou detai, mai siéu segur qu’alor, tout au cop, l’entre-veguère e moun ànci faguè que se n’en crèisse.
De ma vido, aviéu, fin-qu’au jour d’aqui, rèn couneigu de tau, n’en siéu proun segur.
Mai eiçò, pamens, n’èro pas gaire. Sentiguère, tout à-n-un cop, un boufe d’abouminacioun alena sus moun carage e me devinère auboura sus mis estriéu, em’ un grand ressaut d’abourrimen e d’esfrai, car veniéu de recounéisse, quihado de chasque coustat dóu frountas, douminant la caro terrouso, dos bano, o, dos bano, uno de coupado, mesquino, sus soun mitan e l’autro revirado dins un revóu, rufo, tóuti dos, e counchado de la fango e li pariero d’aquéu boucas que bat la sournuro e qu’à soun ounour, dison, se celèbron d’òrri messo dins lou sabat. Sènso balança, tout d’un vanc, pèr sauvamen, aviéu auboura moun bras e larga dins l’èr un signe de la crous. Entanto, redisiéu li paraulo escounjurarello, tau coume l’aviéu ausi faire à moun ouncle lou canounge, un jour que sus lou cors d’uno femo endemouniado, esvartavo li malesperit au lindau de la glèiso de la Majour :
– Recede… immundissime. Imperat tibi Deus Pater… et Filius… et Spiritus Sanctus !…

 La Bête du Vaccarès, Grasset « Les Cahiers Rouges », p. 78-80.


Joseph d’Arbaud – L’œuvre poétique

  • 1913 : Lou Lausié d’Arle / Le Laurier d’Arles, Paris, Oudin et Cie. Réédition Aix-en-Provence, 1925, Société de la revue Le Feu.
  • 1925 : Li Rampau d’Aran, Aix-en-Provence, Société de la revue Le Feu.
  • 1951 : Li Cant palustre, Paris, Horizons de France.

Joseph d’Arbaud – L’œuvre en prose

  • 1926 : La caraco, Aix-en-Provence, Société de la revue Le Feu. Réédition 2012, Paris, L’aucèu libre (18, rue des Archives, Paris).
  • 1926 : La bèstio dóu Vacarès, Paris, Grasset. Nombreuses rééditions successives dans « Les Cahiers Rouges » de Grasset.
  • 1929 : La Sóuvagino, avec cinq dessins hors-texte de Jean Marchand, Paris, Grasset « Les Cahiers Verts ».
  • 1969 : L’Antifo, roman, texte provençal et traduction française, Cavaillon, Imprimerie Mistral.
  • 2000 : Jaquet-lou-Gaiard, Lou Matagot, La Pichoto Auco, récits inédits, publication assurée par Pierre Fabre, Capoulié du Félibrige, Maintenance de Provence du Félibrige.

Pour en savoir plus sur Joseph d’Arbaud

  • 1971 : Robert Lafont et Christian Anatole, Nouvelle Histoire de la littérature occitane, PUF, pp. 662-667
  • 1984 : Marie-Thérèse Jouveau, Jousé d’Arbaud [biographie], Nîmes, Imprimerie Bene.
  • 1995 : Dossier « Joseph d’Arbaud », études réunies par Philippe Gardy, Revue des Langues Romanes, n° 1, Montpellier, Université Paul-Valéry.