Gardy Philippe / Gardy Felip (1948)

Philippe Gardy

Philippe Gardy – Photo Georges Souche

Philippe Gardy, né à Chalon-sur-Saône en 1948, directeur de recherche au CNRS, ancien enseignant aux facultés de Bordeaux et de Montpellier, reconnu comme l’un des meilleurs connaisseurs de la littérature occitane moderne et contemporaine, est un poète et un nouvelliste.
Comme universitaire, l’acuité de sa lecture et son érudition encyclopédique ont jalonné le champ des lettres occitanes, de l’âge baroque à la période contemporaine. Il a consacré par exemple de nombreuses études à Marcelle Delpastre, Robert Lafont, Bernard Manciet, René Nelli, Max Rouquette… À côté de ces classiques, Philippe Gardy nous a également permis de redécouvrir des écrivains insuffisamment connus comme Verdié [Note] ou Delbousquet [Note] , mais il se montre aussi très attentif aux jeunes écrivains.
Deux de ses ouvrages, parmi beaucoup d’autres, font désormais référence sur la littérature occitane de l’après-guerre : Une écriture en archipel : cinquante ans de poésie occitane (1992) et L’écriture occitane contemporaine : une quête des mots (1996), auxquels s’ajoute Figuras dau poèta e dau poèma dins l’escritura occitana contemporanèa (2003).

Philippe Gardy, élève de Robert Lafont au lycée Daudet de Nîmes, n’a pas 18 ans lorsqu’il publie en 1965 son premier recueil, L’Ora de paciéncia [L’Heure de patience], qui témoigne déjà d’une étonnante maturité poétique et qui puise son inspiration dans une nature bienveillante et apaisée (beaucoup plus ambiguë par la suite). Une quinzaine d’autres recueils suivront, jalonnant un demi-siècle de poésie ininterrompue. Poésie discrète jusqu’au secret, parcimonieuse dans ses formes plutôt brèves, exigeante par son refus de toute facilité, souvent déconcertante voire énigmatique par ses images et ses formules. Poésie à dominante mélancolique jusqu’au désespoir, poésie souvent douloureuse, traversée parfois de fulgurances, elle est pétrie d’éléments naturels. La terre, les bêtes et les plantes y échangent leurs textures et leurs tissus pour composer des lambeaux de matière vive et indifférenciée, rarement heureuse, le plus souvent souffrante (Lo païsatge endemic, par exemple), métaphore d’un texte qui l’exprime à son tour en courts poèmes et vers brefs, par fragments, à l’image des bras du poulpe qui dansent dans les eaux (Dançars dau pofre) ou des branches du figuier qui remuent dans le ciel (La Dicha de la figuiera). Le plus obsédant de ces éléments est l’eau, l’eau amniotique des origines, qui apparaît sous les espèces de la mer, laquelle renouvelle sans cesse ses métamorphoses de sel, de gel et d’étoiles (Per tantei fugidas egipciacas) et recèle toute une faune d’humbles monstres (Dançars dau pofre). Mais c’est aussi l’eau obscure de la noyade (A la negada, Delà l’aiga), de la mort, de l’oubli et du néant.
Le recueil Mitologicas est ainsi présenté sur la quatrième de couverture : « La médiation de quelques […] figures de la fable antique donne à cette auscultation du réel un ton personnel, intime, comme si la présence de ces mythes d’autrefois permettait seule d’atteindre, par brefs éclairs, aux rythmes qui animent la chair du monde ».

Le lyrisme de Philippe Gardy, jusque-là impersonnel dans la forme, excluant quasiment la première personne, comme par refus de toute confidence explicite, se renouvelle quelque peu dans les trois derniers recueils, où l’auteur se réfère à des lieux, des lectures et des moments précis dont il offre le souvenir à des amis dédicataires (Dins un cèu talhant de blau) ou qu’il regroupe dans l’évocation de ses deux villes tutélaires, Nîmes et Montpellier, de façon paradoxalement antinomique. Alors que Nîmes est évoquée de loin, en absence, par le fantasme ou le seul souvenir, et qu’elle prend par cela-même une réalité indubitable dans la conscience (Nimesencas), Montpellier est raconté sur le motif, en description simultanée, au moment crépusculaire de la présence en ces lieux du poète qui confronte ses souvenirs d’enfances au peu de réalité de cette ville qu’efface l’essence fugitive du temps présent (Montpelhierencas).

La poésie de Philippe Gardy ne cesse de nous interroger sur le mystère (plus douloureux que joyeux) de notre incarnation, sur notre entrée dans le temps, la matière et la vie. Elle le fait dans un lyrisme dépourvu de toute sentimentalité, un lyrisme qu’on peut qualifier de métaphysique, mais qui reste étonnamment concret, dans un renouvellement incessant d’images.

L’Astronòm inagotable rassemble 31 proses de Philippe Gardy, dispersées en revues ou inédites jusque-là. Assez brèves dans l’ensemble, parfois discrètement humoristiques, ces proses narratives, en contraste avec l’univers instable et labile de sa poésie, racontent le plus souvent la même expérience fantasmée : une immobilisation progressive du temps, relatée au prétérit et dans cette première personne si rare dans les poèmes. Par exemple la nouvelle « Dins lo roge » dépeint, si l’on peut dire, un univers qui se fige dans l’invasion du monde par la seule couleur rouge qui coule du plafond de la salle de bain. Dans « Un escorpiu çò sembla » (Un scorpion semble-t-il), c’est le blanc de la feuille de papier qui produit cet effet, et dans la nouvelle-titre « L’astronòm inagotable », c’est le noir du ciel nocturne contemplé par l’astronome inépuisable, lequel finit pas être absorbé par l’œil immense du cosmos qu’il regarde et qui le regarde. Dans ces nouvelles à la fois poétiques et fantastiques, la dynamique narrative relate un processus de coagulation cosmique : elle s’achève sur le rêve heureux ou sur le cauchemar d’une éternité immobile et monochrome. Une sorte de vertige anime cette mécanique narrative qui consiste à se projeter vers sa propre immobilisation.


Une rose d’écriture

Le rêve et le désir et la longue naissance
Sully-André Peyre

Comment imaginer
le temps ayant passé
ce que fut la rencontre
à la sortie du lycée de la ville
entre un élève de quatorze ou quinze ans
et ce petit livre jaune
acheté au marchand de presse du boulevard

Écrivette et la rose
sous le signe mystérieux de Marsyas
improbable créature mythologique

Écrivette
plutôt que nom de femme
ou faux nom de poète
l’écriture personnifiée
divinisée un peu

mais humanisée d’un bout à l’autre
par la présence de la rose
fleur de mots et de désirs
autour de qui chaque poème
dévidait ses énigmes
et ses enchantements

come un désert lointain
seulement peuplé de souvenirs et d’attentes
son désert à lui seul bien sûr
et qui commençait peu à peu
à s’étendre
comme une grande mer
de silences

Nimesencas / De Nîmes, version française de Jean-Claude Forêt, L’aucèu libre, 2015, p. 42.

Una ròsa d’escritura

Lou sounge e lou desir e la longo neissènço
Suli-Andriéu Peyre

Coma imaginar
lo temps aguent passat
çò que foguèt lo rescòntre
a la sortida dau licèu de la vila
entre un escolan de quatòrze ò quinze ans
e aqueu libret jaune
comprat au mercant de premsa dau baloard

Escriveto e la roso
sota lo signe misteriós de Marsiàs
creatura mitologica improbabla

Escriveta
puslèu que nom de fema
ò escais de poèta
l’escriure personificat
divinizat un pauc

mai umanizat de fons a cima
per la preséncia de la ròsa
flor de mots e de desirs
qu’a son entorn cada poèma
debanava seis enigmas
e seis encantaments

coma un desert liunchenc
poblat pas que de remembres e d’esperas
son desert pas qu’a eu de segur
e que pauc a cha pauc començava
de s’espandir
coma una mar granda
de silencis

Nimesencas / De Nîmes, version française de Jean-Claude Forêt, L’aucèu libre, 2015, p. 43.

Note : Dans ce poème, Philippe Gardy évoque la découverte éblouie qu'il fit, adolescent, de la poésie de
Sully-André Peyre, qui écrivait sous le pseudonyme d'Escrivette dans la revue Marsyas qu'il dirigeait.

 

Place de la Comédie

Sur la terre infinie font leurs danses furieuses
les nymphes plastifiées coups de pied coups de sang
l’amour s’enfuit dans la rue comme un gros

sac de plumes et de pierres douces le ciel n’est
qu’oiseaux confettis de lunes blettes et mains
perdues entre les jambes entre les poitrines

le petit enfant sous le platane épais et noir
cherche le temps de son enfance dans l’eau sombre
de la fontaine l’enfant baigne ses doigts d’homme déjà vieux

dans la conque sans fond du temps qui file
coups de pied coup de griffe la ville n’est que brumes
sous le couvercle des amours bouillies et rebouillies

Montpelhierencas / De Montpellier, version française de Jean-Claude Forêt, L’aucèu libre, 2014, p. 26.

Plan de la Comèdia

Sus la terra infinida fan sei danças furiosas
lei nimfas plastificadas còps de pè còps de sang
l’amor s’enfugís dins la carriera coma un gròs

sac de plumas e de pèiras doças lo cèl es pas
qu’aucèus confettis de lunas clocas e mans
perdudas entre lei cambas entre lei pitres

l’enfanton sota la platana espessa e negra
cèrca lo temps de son enfança dins l’aiga sorna
de la fònt l’enfant banha sei dets d’òme ja vielh

dins la conca sens fons dau temps que landa
còps de pè còps d’arpion la vila es pas que neblas
sota la cabucèla deis amors tròp rebolhidas

Montpelhierencas / De Montpellier, version française de Jean-Claude Forêt, L’aucèu libre, 2014, p. 27.


Dryade

De l’orme à la vigne le cœur se prend
aux liens de la vie de vigne en olivier
le cœur se noue et se dénoue et fait fleurs
du soleil qui te coiffe de ses rayons
ô jeune fille des saisons en allées
quand tu courais de toutes tes chairs vives
pour trouver repos à l’ombre épaisse
des arbres millénaires et que là-bas encore nue
dans l’écorce des tilleuls emplis d’abeilles
tu devins prisonnière pour toute une éternité
de feuilles et de chants où ta voix s’est perdue
ô jeune fille dans le cœur secret de l’arbre
qui t’enferma un jour et pour toujours
ton corps demeure et ton désir qui monte

où va l’abeille se noyer dans la fleur
qui l’embrasse et l’englouti de ses lèvres aveugles
dans le puits sans fin du temps
gouffre d’écorce et de feuillage bruissants
chemine comme d’un chant les échos amuïs
de l’arbre le dedans féminin qui le fait vivre

Mythologiques, version française de J.-C. Forêt, Fédérop, 2004, p. 65.

Driada [Note]

De l’oum a la vinha se pren lo còr
ai liames de la vida de la vinha a l’oliu
lo còr se nosa e se desnosa e fai flors
dau soleu que te capèla de sei rais
ò joventa dei sasons enanadas
quand corrissiás de totei tei carns vivas
per trobar repaus a l’ombra espessa
deis aubres millenaris e qu’ailà nusa encara
dins la rusca dei telhòus claufits d’abelhas
venguères presoniera per tota una eternitat
de fuelhas e de cants ont ta votz s’es perduda
ò joventa dins lo còr secret de l’arbre
qu’un jorn t’enclausiguèt per sempre
ton còs demòra e ton desir que poja

ont l’abelha vai e se nega dins la flor
que l’abraça e l’engolís de seis avuglas bocas
dins lo potz sens fons dau temps
tomple de rusca e de folhum brusents
camina coma d’un cant lei ressòns amudits
de l’arbre lo dedins femenin que lo fai viure

Mitologicas, Fédérop, 2004, p. 64.

Poire blette

Le médecin de l’hôpital, lundi passé, a été formel. Il avait parfaitement pesé le pour, le contre et le reste. Et c’était ça. Ni plus ni moins. La vérité, c’est que je souffrais d’une maladie grave. Une maladie dont on ne sort que transformé de fond en comble. En un mot comme en cent, ma tête devenait comme un fruit trop mûr. Elle prenait de plus en plus de volume, comme un vit quand il vient à toucher par hasard le ventre d’une femme en passant dans la rue. Il enflait, il gonflait et s’épanouissait. Et sur tous les replis de la peau, très vite des crevasses, étroites d’abord, puis de plus en plus larges, se dessineraient en surface et même en profondeur, des crevasses que rien ne pourrait combler, ni remèdes, ni régimes sens sel ou sans sucre, ni encore moins méditation transcendantale.
J’en étais reparti vert et découragé, le regard sombre et muet comme une taupe. Je remuais dans ce qui m’était encore une tête, avec une cervelle à l’intérieur, des idées noires, des idées qui me rongeaient le peu d’intelligence qui me restait, des idées qui me vidaient l’esprit de toute envie de vivre.
Revenu chez moi, je me suis assis sur le grand fauteuil de la cuisine, celui où le chat va dormir toute la sainte journée, d’habitude, et où il n’était pas allongé ce jour-là, la queue entre les pattes et la tête penchée sur le vide. J’y suis resté je ne sais combien d’heures à répéter dans mon cerveau, condamné à devenir mou comme la figue quand elle va se séparer de sa queue séchée, que tout était fini.
La figue, je la voyais, de ces figues naturalisées et réduites comme des têtes d’Indiens, à la fin de l’été, quand le lait blanchâtre leur a manqué pour se gonfler de tout leur poids de miel et de suc savoureux. Mais j’ai vite compris que ce n’était pas exactement le sort qui m’attendait.
Car je n’allais pas me ratatiner comme elle ni ma tête devenir comme un pois chiche ou une micocoule. Non, l’image qui s’imposait, unique et souveraine, c’était celle de la poire. Et même de la poire blette, ces poires que, dans mon enfance, ma grand-mère faisait cuire dans une bassine luisante pour en faire une compote sucrée et pâteuse. Une poire blette. C’était ça. Le maître d’école, il y a longtemps, nous avait parlé d’un vieux peintre, italien ou autrichien, je ne sais plus, dont la principale spécialité était de peindre les hommes et les femmes comme de petits monceaux de fruits ou de fleurs. L’homme bouquet, l’homme compotier. Mais moi, je ne serais qu’un seul fruit, et même blet, fendillé de partout et perdant peu à peu la totalité de sa substance. Une goutte chaque jour, sans doute, puis une chaque heure, chaque minute, chaque seconde…
À ce moment de ma rêverie, je me suis un peu retourné à gauche, rien que pour voir si je vivais encore un peu, si les nerfs de mes membres couraient encore dans mes veines, venant du cœur battant, un petit peu de force humaine, une faible chaleur de cette triste vie qui devait bientôt m’abandonner. Dans ce mouvement lent et patient, qui pourtant me troubla l’intelligence, me revint devant les yeux l’image de la poire blette, et rien qu’elle. Seule. Qui me regardait et même me fixait, comme la mante religieuse fixe la sauterelle mince et frêle entre deux herbes, juste avant de la saisir entre ses pattes épineuses.
J’en étais complètement fasciné. Pétrifié. Le fruit était juste devant moi, bien posé dans l’épaisseur de l’air, épanoui et lustré comme un noyau d’avocat. Je l’ai cru loin, tout d’abord, de l’autre côté de la pièce. Mais non. Il était presque à côté de moi. Son pédoncule touchait mon front. Et la présence toute chaude de sa masse poisseuse et douceâtre m’empoisonnait le nez, dehors et dedans, comme une odeur malfaisante dont il n’est plus possible de se débarrasser.
J’ai allongé un bras pour essayer de le palper. Ma main s’est avancée, péniblement. Je faisais effort, de la pointe des doigts, pour saisir cette forme dont je distinguais de plus en plus mal ce qui me distinguait d’elle. Et mes doigts se perdaient, semblait-il, dans cette coulée de senteurs amères et de pourriture. Plus que blette maintenant, j’ai vite compris que la poire et moi nous ne devions faire qu’un seul corps, une seule présence. Les crevasses qui traversaient la peau affaiblie du fruit se confondaient avec les crevasses qui trouaient un peu plus la face encore lisse de mon visage. Et ce qui de l’un coulait comme du pus ou du caoutchouc, coulait aussi de l’autre, et les ruisseaux venant de l’un et de l’autre côté de l’espace se mêlaient pour ne faire qu’une eau toute molle et puante.
Je me suis assoupi peu à peu. Je suis tombé ainsi dans un état de grande insensibilité, ni sommeil ni veille. Je savais où j’étais, mais de ce savoir j’avais perdu toute raison et tout pouvoir de raisonnement.
Est venu un moment où le téléphone a sonné. Une petite musique douce toute douce, venue, pour ainsi dire, d’un autre monde, d’un autre système solaire. Puis tout s’est arrêté. J’ai entrevu comme l’ombre d’une main devant moi. Transparente, silencieuse. Cela volait et tournait comme une apparence de nuage. Une brume sans consistance ni contour. Dans un autre temps, me serait venu, par comparaison, le spectacle d’un liquide vaporisé, rien que de fines petites bulles crevant dans l’air sans un bruit. À mesure que cela disparaissait, la poire blette, juste à côté, se mêlait à moi comme un reste d’être qui s’en allait. Je partais en elle, au fur et à mesure que sa forme si fragile se perdait dans les abîmes infinis du temps et de la matière.

L’Astronòm inagotable, Trabucaire, 2015, p. 77-79. Traduction de Jean-Claude Forêt.

Pera cloca

Lo metge de l’espitau, diluns passat, foguèt formau. El aviá mielhs que ben pesat lo per, lo còntra e lo demai. E aquò èra aquò. Ni mai ni mens. Vertat èra que patissiáu d’una malautiá grèva. Una malautiá qu’òm ne sortís pas que trasfigurat de fons a cima. En un mot coma en cent : ma testa veniá coma una frucha tròp madura. Preniá de pes e mai de volum, coma un viech quand vèn tòca a tòca, per còp d’astre, amb lo ventre d’una femna passant dins la carriera. Conflava, gonflava e s’espandissiá. E sus totei lei contorns de la peu, lèu lèu, de fendasclas, estrechonas primier, puèi de mai en mai largas s’i dessenharián dessús e mai dedins, de fendasclas que ren lei podriá pas comolar, ni potingas, ni regims sensa la sau ò sensa lo sucre, ni meditacion transcendentala encara mens.
N’ère partit descorat e verd, l’agachada sorna e mut coma un darbon. Remenave dins çò qu’encar m’èra una tèsta amb dedins la cervèla d’idèas negrosas, d’idèas que me rosegavan lo pauc d’intelligéncia que me demorava e que me vujavan l’esperit de tota enveja de viure.
Tornat a l’ostau, m’assetère sur lo cadeirau grand de la cosina, aqueu que lo cat i vai dormir tot lo sant-clame dau jorn, a l’acostumat, e qu’aqueu jorn d’aquí la bèstia, per còp de benastre, i èra pas alongada dessús, la coa entre lei pautas e la testa clinada dins lo vuege. I demorère sabe pas quand d’oradas a tornar repetir dins mon cervèu condemnat a venir mòu coma la figa quand vai se desseparar de son pecolh secat que tot èra finit.
Lo fic, me lo vesiau, aquelei fics naturalizats e reduchs coma de tèstas d’Indians, a la fin de l’estiu, quand lo lach blancós li es estat de manca per se conflar de tot son pes de mèu e de chuc saborós. Mai comprenguère lèu-lèu qu’aquò èra pas exactament la sòrt que d’ara enlà m’esperava.
Que m’anave pas ratatinar coma eu e ma testa venir coma un cese, ò una micacola. Non, l’imatge que s’impausava, unic e sobeiran, aquò’ra lo de la pera. E mai de la pera cloca, aquelei peras que, dau temps qu’enfant, ma grand lei fasiá còire dins una bacineta lusenta per ne’n faire una menestra ensucrada e pastosa. Una pera cloca. Aquò èra aquò. Lo mèstre, a l’escòla, i a de temps, nos aviá parlat d’un pintre vielh, italian ò austriac, sabe pas mai, que son especialitat màger èra de pintrar leis òmes e leis femnas coma de montanhetas de fruchs ò de flors. L’òme ramelet, l’òme compostier. Mai ieu, seriáu pas qu’un solet fruch, e mai cloc, de pertot fendasclat e perdent pauc cha pauc lo tot de sa substància. Un degot cada jorn, saique, puèi un cada ora, cada minuta, cada segonda…
A aqueu moment de ma ravadissa, me revirère un pauc a man senèstra, pas que per veire s’encar viviáu un pauc, s’encar dins mei venas lei nervis de mei membres, corrissiá, dau còr picant venent, un brigolon de fòrça umana, una caloreta d’aquela vidassa qu’èra per m’abandonar lèu lèu. D’aqueu movement lentàs e pacient, que pasmens me desvarièt la comprenèla, me venguèt tornar davant leis uelhs l’imatge de la pera cloca, e pas qu’eu. Solet. Que m’agachava e mai me fixava, coma lo pregadieu lo sautarèu prim e fragil entre doas erbetas just abans de l’agantar entre sei pautas espinhosas.
N’ère tot pivelat. Empeirat. Lo fruch èra just a mon davant, ben pausat dins l’espés de l’aire, espompit e corós coma un clòsc d’avocat. Lo creseguère luenh primier, de l’autra man dau membre. Mai non. Èra quasi a ras de ieu. Son pecolh tocava mon frònt. E la preséncia caudeta de sa massa pegosa e docineta m’enfectava lo defòra e lo dedins dau nas, coma una odor maufasenta qu’es pas pus possible de se’n desbarrassar.
Alonguère un braç per ensajar de lo paupar. Ma man s’avancèt, penosament. Fasiáu esfòrç, amb la poncha dei dets, per sasir aquela forma que destriave de pus en pus mau çò que me destriava d’ela. E mei dets se perdián, semblava, dins aqueu degolitge de sentors amaras e de poiridier. Mai que cloca ara, la pera e ieu comprenguère lèu qu’eriam per faire pas qu’un còs, qu’una preséncia. Lei fendasclas que traversavan la pèu aflaquida dau fruch se confondián amb lei fendasclas que traucavan un pauc mai la fàcia lisa encara de ma cara. E çò que de l’un rajava coma d’apostèma ò de cauchoc, rajava tanben de l’autra e lei riussets venent d’una man e de l’autra de l’espaci se mesclavan per faire pas qu’una aiga moligassa e pudenta.
M’aconsomiguère pauc a cha pauc. Tombère ansin dins un estat d’insensibilitat granda, ni sòm ni velha. Me sabiáu ont ère, mai d’aqueu saber aviáu perdut tota rason e tot poder de rasonament.
Venguèt un temps que lo telefòn tindèt. Una musiqueta doça doceta, venguda, censat, d’un autre mond, d’un autre sistèma solar. Puèi tot s’arrestèt. Entreveguère coma l’ombra d’una man davant ieu. Transparenta, silenciosa. Aquò volava e virava coma una aparéncia de nívol. Una nèbla sens consisténcia ni contorns. Dins un autre temps, me seriá vengut per comparason l’espectacle d’un liquid vaporizat, ren que finei bodofletas crebant dins l’aire sens un bruch. A dicha qu’aquò desapareissiá, la pera cloca, just a ras, a ieu se mesclava coma un demai d’èstre que s’enanava. Dins ela partissiáu, a flor e a mesura que sa forma tan freula s’esperdiá dins lei tomples infinits dau temps e de la matèria.

L’Astronòm inagotable, Trabucaire, 2015, p. 77-79.


Felip Gardy parla de son rapòrt a l’escritura.
Felip Gardy, « Gostes, modèls, influencias »

Philippe Gardy – Œuvre poétique en recueil

  • 1965 : L’Ora de paciéncia / L’Heure de patience, Nîmes, M.J.O «Sirventés».
  • 1968 : Cantas rasonablas [Chants raisonnables], Toulouse, IEO «Messatges».
  • 1969 : Caramentrant au mes d’agost [Carnaval au mois d’août], Montpellier, C.E.O.
  • 1975 : Boca clausa còr [Bouche close cœur], Toulouse, IEO «Messatges».
  • 1982 : Lo Païsatge endemic [Le Paysage endémique], Fédérop-Jorn.
  • 1985 : Dançars dau pofre [Dances du poulpe], La Talvera.
  • 1992 : Pèr tàntei fugidas egipciacas… [Par tant de fuites en Égypte…], La Talvera.
  • 1997 : Nòu Sonets aproximatius [Neuf Sonnets approximatifs], traduction catalane d’E. Prat, Girona, Senhal 38.
  • 2002 : La Dicha de la figuiera / Paroles du figuier, version française de Jean-Yves Casanova, Perpignan, Trabucaire.
  • 2004 : Mitologicas / Mythologiques, version française de Jean-Claude Forêt, Gardonne, Fédérop.
  • 2005 : A la negada / Noyades, adaptation française de Claire Torreilles, Toulouse, Letras d’òc.
  • 2007 : Delà l’aiga [Au-delà de l’eau], Toulouse, Letras d’òc.
  • 2010 : Dins un cèu talhant de blau [Dans un ciel tranchant de bleu], Toulouse, Letras d’òc.
  • 2011 : Nimesencas / De Nîmes, version française de Jean-Claude Forêt, édition hors commerce. Réédition Salinelles, L’aucèu libre, 2015.
  • 2014 : Montpelhierencas / De Montpellier, version française de Jean-Claude Forêt, Salinelles, L’aucèu libre.
  • Philippe Gardy – Œuvre poétique en revues

    • 1966 : Laberint [Labyrinthe], Toulouse, IEO « Letras d’òc ».
    • 1980-1981 : Naissença, I, II, III [Naissance], Jorn.
    • 1989 : Pichòta Cosmogonia de l’enrevèrs [Petite Cosmogonie de l’envers], Lo Radèu de la Medusa.
    • 1992 : Quinze noms de luòc [Quinze noms de lieu], Lo Radèu de la Medusa II.
    • Philippe Gardy – Proses

      • 2015 : L’Astronòm inagotable, Perpignan, Trabucaire.
      • Philippe Gardy – Bibliographie partielle de l’œuvre critique

        • 1971 : Glaudi Brueis, Choix de textes (avec H. Albernhe), Montpellier, Centre d’Études Occitanes.
        • 1972 : Les Chansons du Carrateyron (avec H. Albernhe), Paris, PUF.
        • 1973 : Loís Romieu, La Jarjalhada (avec G. Bazalgues), Montpellier, Centre d’Études Occitanes.
        • 1974 : Jean Michel, L’Embarràs de la fièira de Beucaire, Montpellier, Centre d’Études Occitanes.
        • 1978 : Langue et société en Provence au début du XIXe siècle : le théâtre de Carvin, Paris, PUF.
        • 1980 : Jean-Baptiste Castor-Fabre, Histoîra dé Jean l’an prés, texte occitan et traduction française, suivi de « Jean-Baptiste Fabre entre deux langues », in Emmanuel Le Roy Ladurie : L’argent, l’amour et la mort en Pays d’oc, Paris, Le Seuil.
        • 1982 : Un conteur provençal au XVIIIe siècle : Jean de Cabanes, Aix, Édisud.
        • 1984 : Pèire Godolin, Le Ramelet Mondin et autres œuvres, transcription graphique et notes, Aix, Édisud.
        • 1986 : L’écriture occitane aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles : origine et développement du théâtre occitan en Provence. L’œuvre de Jean de Cabanes, deux volumes. Béziers, CIDO.
        • 1988 : Jean-Baptiste Fabre, Histoîra dé Jean l’an prés/Histoire de Jean l’ont pris, édition critique avec traduction française (avec P. Sauzet), Montpellier, CRDP.
        • 1990 : Donner sa langue au diable. Vie, mort et transfiguration d’Antoine Verdier, Bordelais, Montpellier/Église-Neuve-d’Issac, Section française de l’Association Internationale d’Études Occitanes/Fédérop.
        • 1992 : Une écriture en archipel : cinquante ans de poésie occitane (1940-1990), Église-Neuve-d’Issac, Fédérop.
        • 1992 : Anonyme, Lo Judici de Paris, pastor (segle XVIII). Teatre català del Rossellò, segle XVI-XVIII (avec Enric Prat et Pep Vila), Barcelona, Curial edicions catalanes.
        • 1994 : L’occitan en Langudeoc-Roussillon (avec Étienne Hammel), Perpignan, Trabucaire.
        • 1996 : L’écriture occitane contemporaine : une quête des mots, Paris, L’Harmattan.
        • 1997 : L’âge du baroque (1570-1789). Maniérisme, burlesque, inflexions populaires et savantes, Montpellier, Les Presses du Languedoc.
        • 1998 : La leçon de Nérac. Du Bartas et les poètes occitans (1550-1650), Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux.
        • 2001 : Dix siècles d’usages et d’images de l’occitan : des Troubadours a l’Internet, ouvrage collectif (Henri Boyer et Philippe Gardy coordonateurs), Paris, L’Harmattan.
        • 2006 : L’exil des origines. Renaissance littéraire et renaissance linguistique en pays d’oc aux XIXe et XXe siècles, Bordeaux, Presses universitaires de Bordeaux.
        • 2009 : L’ombre de l’occitan. Des romanciers français à l’épreuve d’une autre langue (Joseph Delteil, François Mauriac, Jean Giono, François Salvaing, Pierre Bergounioux, Pierre Michon, Richard Millet, Emmanuel Delbousquet), Rennes, Presses universitaires de Rennes.
        • 2009 : Mémoires de pauvres. Autobiographies occitanes en vers au XIXe siècle, ouvrage collectif (Philippe Gardy et Philippe Martel directeurs), Carcassonne, Garae Hésiode.
        • 2010 : Autour des quenouilles. La parole des femmes (1450-1600), ouvrage collectif (Jean-François Courouau, Philippe Gardy et Jelle Koopmans directeurs), Turnhout (Belgique), Brepols.
        • 2011 : René Nelli, la recherche du poème parfait, Carcassonne, Garae Hésiode.
        • 2014 : Paysages du poème. Six poètes d’oc entre XXe et XXIe siècle : Léon Cordes, Robert Lafont, Bernard Lesfargues, Georges Reboul, Max Rouquette et Jean-Calendal Vianès, Presses Universitaires de la Méditerranée, collection « Estudis occitans ».
        • Philippe Gardy – Bibliographie secondaire

          • 2003 : Philippe Gardy, lo poèta escondut, Actes du colloque de Montpellier (mars 2002) réunis par Jean-Claude Forêt. Montpellier, CEO, collection « Lo gat negre ». Articles de Frédéric Jacques Temple, Jean-Frédéric Brun, Claire Torreilles, Robert Lafont, Marie-Jeanne Verny, Jean-Claude Forêt, Magali Fraisse, Sylvan Chabaud, Joëlle Ginestet, Jean-Yves Casanova. En ligne sur http://books.openedition.org/pulm/983
          • 2014 : Amb un fil d’amistat, Mélanges offerts à Philippe Gardy par ses collègues, ses disciples et ses amis, réunis par Jean-François Courouau, François Pic et Claire Torreilles. Toulouse, Centre d’étude de la littérature occitane.
            Dans cet ouvrage, on trouvera notamment deux études consacrées à l’œuvre littéraire de Philippe Gardy :
            Jean Arrouye : « Poétique du souvenir dans Nimesencas de Philippe Gardy ».
            Jean-Claude Forêt : « L’espectacle de l’entropia : Felip Gardy prosator ».

          Philippe Gardy – Sitographie